Le Monde et Le Reste
Ceysson & Bénétière
20 mai - 07 juillet 2017
Trois artistes, Amina Benbouchta, Mohamed El Baz, Mounir Fatmi auxquels la galerie Ceysson & Bénétière est heureuse d’ouvrir son espace rue du Renard à Paris en mai 2017. Certes, ils vivent et travaillent entre la France et le Maroc, mais ils exposent en Europe et partout dans le monde, il serait donc bien réducteur de les considérer comme des artistes marocains. L’art contemporain au Maroc est en effervescence, de nombreux artistes de talent y montrent leur travail et s’invitent aux premières places de la scène internationale. Leurs aînés avaient opéré une rupture dans les années de la post indépendance, renouant avec une forme de culture ancestrale au travers de matériaux traditionnels et de signes identitaires, une nouvelle génération d’artistes a dépassé cela. « J'ai toujours pensé, écrit Mounir Fatmi, qu'il y a le monde et qu'il y a le reste, et moi, en tant qu'Afro-arabo-marocano-mediterrano-musulman-tiers-mondiste, je fais partie du reste. Donc c'est à moi de comprendre le monde, puisque le monde n'a pas le temps de comprendre le reste. » C’est peut-être cela qui relie leur travail, depuis cet endroit géographique originel et au delà de la dualité de leur culture, ce désir de regarder le monde pour le comprendre.
Amina Benbouchta qui explore au travers de ses installations, de ses peintures ou de ses photographies l’ambiguïté de la condition des femmes dans une société où elle est vénérée et sacralisée mais aussi infériorisée et menacée, elle évoque cet écart ou cet écartèlement, c’est selon, entre les normes de vie contemporaine et celles de la tradition, en marquant dans son travail l’opposition entre la beauté des formes, des couleurs et des matières et d’autres éléments récurrents désignant l’enfermement, l’oppression, la soumission. Plongée comme Alice au cœur d’une réalité/fiction qu’elle tente de comprendre, elle explore par le sensible la violence mais aussi la douceur de notre époque complexe, elle trace de façon poétique un chemin dont l’universalité est l’aspiration à la liberté.
Bricoler l’incurable, c’est par ce titre générique emprunté à Cioran « Être moderne c’est bricoler dans l’incurable » que, depuis 1993, Mohamed El Baz déploie une œuvre qui se construit de production en production, de fragment en fragment. Il s’agit pour lui de produire un travail qui ne sera utile que s’il répare quelque chose dans son propre rapport intime au monde, en restant en phase avec la complexité sociale ou politique de son temps, que s’il attenue le mal-être contemporain, sorte de fatalité sans solution mais qu’il convient de contrer par le « faire », l’activité artistique étant un acte anti-nihiliste, qui sert à affirmer que l’on aime la vie, qu’on y est très attaché.
mounir fatmi, oui, nous l’écrirons ici comme il l’écrit lui-même, sans capitales aux noms propres, lui qui aime cette sorte de distance avec l’identité et le déterminisme de l’origine, « le prochain drapeau sera transparent ou ne sera pas, dit-il, et s'il faut continuer ce combat, s'il y a encore une raison pour se battre, c'est pour comprendre, oui revendiquer le droit de comprendre, parce qu'il y a tellement de questions sans réponse et parce qu'on a troqué notre envie de comprendre le monde contre l'idée d'être informé tout simplement ». Une œuvre multiple et protéiforme, où il s’agit de questionner l’autre et l’autre en soi, de résoudre précisément ce dualisme culturel en le confrontant à la vitalité et au flux du monde.
Bernard Collet, May 2017