Comme Le Corbusier, mounir fatmi a « la planète pour chantier ». Rien de ce qui est humain ne le laisse indifférent, et la vie, comme une plaie ouverte, l’appelle à créer, à témoigner, à structurer sa propre pensée foisonnante, à transformer la souffrance en mots et en images. Sans anesthésie : fatmi vit les nerfs à vifs et cherche à instiller l’espoir d’un regard sensible sur la destruction perpétuelle, la mort, la disparition.
Pendant quatre ans en résidence à Mantes La Jolie, il a filmé la destruction des barres et des tours du Val-Fourré. Les pelles mécaniques immenses opèrent, à vif elles aussi, le corps urbain, ouvrent les chambres à coucher où les corps ont vécu, aimé, dormi, les cuisines où ils ont mangé, bu, fêté, les salons où ils se sont assis... et jusqu’aux salles de bains où l’intimité du corps se voudrait protégée pour toujours. Mais soudain on découvre les catelles sur les murs, qui sont déchiquetés, exposés, étalés sous les regards des passants, anciens habitants, voisins... Les tapisseries à fleurs des ex-chambres à coucher évoquent les rêves oubliés d’ex-amants. Des plans fixes interminables conjuguent le temps du silence avec l’espace de la perte. La violence est irrémédiable, les villes ne se détruisent pas dans la douceur. La vie ne se vit pas dans la douceur.
Pendant ces quatre ans de résidence, fatmi a filmé plus de 50 heures de rush et il continue. L’artiste, qui n’hésite pas à titrer le catalogue publié à l’occasion de Brussels Biennial 1 : Fuck the Architect, poursuit ainsi sa critique du monde et de son aménagement, sans ménagement. Pour la première fois à la galerie Analix Forever à Genève, il montre certaines des vidéos qui émergent de la folle accumulation d’images de sa résidence, au même moment où Analix Forever organise à Genève le Premier Colloque international d’Architecture émotionnelle. Les vidéos de fatmi seront également projetées à la Fondation Louis-Jeantet où se tiendra ce colloque.
Dans la Salle de Cinéma de la galerie, mounir fatmi montrera aussi d’autres films récents, notamment The Beautiful Language pour lequel il vient de gagner l’un des Prix de la Biennale du Caire, ainsi que Save Manhattan (2010). Sauver Manhattan ? Seule la mémoire des fantômes qui l’habitent peut sauver la ville de la dérive et de la destruction. Des fantômes omniprésents dans le travail de fatmi. Le bon cinéma, celui où l’on ne s’ennuie pas, disait Derrida - lui qui prédisait aux fantômes un avenir radieux - est une fantomachie. Les films de fatmi ont tous cette empreinte fantomatique. Les titres des vidéos sont formidablement évocateurs : Architecture Now nous signifie que l’architecture aujourd’hui n’est pas seulement dans le grandiose, mais aussi dans la destruction ; I lived on the 3rd floor nous ramène à l’intimité de la mémoire des lieux perdus.
A l’entrée de la galerie, la pièce Underneath (2007), sculpture de fatmi dont on connaît bien les grandes installations dans l’espace, nous amène à plonger dans un autre envers du décor : les dessous de l’architecture, et, en évocation à la première présence de fatmi à Analix en 2009 dans le cadre de l’exposition intitulée Le cadavre exquis boira le vin nouveau, on trouvera également la gravure intitulée Dead or Alive (2007) qui reprend l’immense peinture murale exposée alors. Finalement, en cours d’exposition, fatmi présentera des dessins dans le Cabinet de Dessins de Analix Forever. Un artiste complet.
Barbara Polla
A l’occasion de l’exposition Sans Anesthésie. (13/01/11-23/02/11)
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As it was for Le Corbusier, the planet is mounir fatmi’s studio. Everything human interests him and life, like an open wound, impels him to create, to bear witness, to structure his effervescent ideas, to transform suffering into words and images. Without Anaesthetic: fatmi feels it all intensely, under the skin, and seeks to offer the hope of a sensitive gaze taking in perpetual destruction, death and loss.
During his four-year residency in Mantes-la-Jolie, he filmed the demolition of the buildings and towers of the Val-Fourré neighborhood. The huge mechanical diggers operate, here too without anesthesia, on the human body, open up the bedrooms where bodies lived, loved, slept, the kitchens where they ate, drank, celebrated, the living rooms where they sat… even the bathrooms where the privacy of bodies should have been protected forever. Suddenly, the tiled walls are revealed, torn apart, exposed, visible to all passers-by, former inhabitants, neighbors… The flowered wallpapers of ex-bedrooms evoke the forgotten dreams of ex-lovers. Interminable still frames correlate the time of silence with the space of loss. The violence is irreversible, cities don’t get destroyed gently. Life doesn’t get lived gently.
During the four years of his residency, fatmi filmed over 50 hours of rushes, and he is still continuing. The artist, who boldly titled the catalogue published for the Brussels Biennial 1 Fuck the Architect, is thus continuing his critique of the world and the way it is manhandled and twisted. In Geneva, at the Analix Forever gallery, he is showing for the first time a number of videos made out of the incredible accumulation of images from his residence, coinciding with the first international symposium on Emotional Architecture, which the gallery is organising in Geneva. Fatmi’s videos will also be projected at the Fondation Louis-Jeantet, where the symposium is being held.
In the gallery’s screening room, mounir fatmi will show several other recent films, including The Beautiful Language, for which he was awarded a prize at the Cairo Biennial, and Save Manhattan (2010). Speaking of which, who can save Manhattan from perdition and destruction? Only the memory of its ghosts – those ghosts that are everywhere in fatmi’s work. Good cinema, cinema that isn’t boring, said Derrida – he who foresaw a glorious future for ghosts – is a phantomachy. All fatmi’s films bear this spectral imprint. The titles of his videos, too, are remarkably evocative: Architecture Now tells us that architecture today resides not only in grandeur but also in destruction. I lived on the 3rd floor reminds us of the private memories attaching to lost places.
At the entrance to the gallery, Underneath (2007), a sculpture by this artist known for his big sculptural installations, takes us into other hidden aspects of reality: behind the scenes of architecture. Evoking the first time fatmi came to Analix, in 2009, for the exhibition Le cadavre exquis boira le vin nouveau, there is also a print, Dead or Alive (2007), reprising the big wall painting he exhibited in that show. Finally, during the exhibition, fatmi will be presenting his drawings in the gallery’s Cabinet de Dessins. An artist of many talents.
Barbara Polla
On Mounir Fatmi’s Exhibition « Without Anesthesia ».
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