Artiste plasticien exposé dans les plus grands musées du monde, ce Marocain a commencé dans une agence de publicité. Avant la provocation... puis la gloire. La Joconde a la tête à l'envers et un mouton lui mange les mains. Au marché aux puces de Tanger, au milieu d'un bric-Ã -brac d'objets de seconde main, le petit Mounir Fatmi découvre, par l'intermédiaire d'une reproduction, le chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci. "Cela a été mon premier choc artistique. Comment vouliez-vous qu'après ça je devienne un peintre classique ?" s'amuse-t-il à commenter.
Si vous aimez les aquarelles, les natures mortes ou les bustes de marbre, passez votre chemin! A la fois vidéaste, photographe, peintre et sculpteur, Mounir Fatmi (www.mounirfatmi.com) est un artiste insaisissable. Animé d'une insatiable curiosité, il travaille sur la base d'archives, de photographies ou même d'articles de journaux. Ses oeuvres sont pour la plupart des installations mystérieuses, construites à partir de cassettes VHS, de câbles ou d'obstacles d'équitation. Déconcertantes, elles sont autant de métaphores de notre époque. Violentes, habitées, elles livrent une vision du monde grave et poétique.
Anticonformiste
Mounir Fatmi reçoit dans son studio de la banlieue parisienne. C'est là qu'il travaille, malgré le vacarme de la salle de jeux vidéo clandestine installée dans la pièce voisine. "C'est un peu rock'n'roll", avoue-t-il, et on se dit que ça lui va bien. Car s'il est classé 356e dans la liste des 500 artistes les mieux cotés du monde, avec des oeuvres qui se vendent entre 40.000 et 50.000 euros, il semble avoir résisté aux sirènes de l'embourgeoisement. Ses galeristes l'appellent de New York et de Los Angeles, ses oeuvres ont été couronnées de prix prestigieux, et pourtant, il continue à travailler de manière artisanale. "Heureusement qu'il y a des gens derrière moi pour me raisonner et mettre des limites à mes ambitions, sinon je deviendrais cynique ou dépressif." Mounir Fatmi n'a jamais rien fait comme les autres. A 4 ans, il sait déjà qu'il veut être artiste peintre. Pourtant rien, dans son quotidien d'enfant, ne vient nourrir cette vocation. Son père coursier et sa mère femme au foyer sont aux prises avec les soucis du quotidien. Il faut nourrir et élever cinq filles et deux garçons. "Chez moi, on trouvait peu d'objets liés à la culture. Il y avait un dictionnaire, qui passait de mains en mains dans le quartier. Le Coran se trouvait sur une étagère, mais nous n'étions jamais assez purs pour le toucher. Et puis au mur était accrochée une photo du roi. Pendant longtemps d'ailleurs, j'ai cru que c'était quelqu'un de la famille.", reconnaît-il avec une certaine impertinence.
Pour cet artiste en herbe, le Tanger des années 1970 est un monde fascinant. S'y côtoient les derniers tenants de la beat generation, dont le célèbre écrivain Paul Bowles. Pourtant, c'est son oncle, un peintre en bâtiment, que le jeune Mounir prend pour modèle. "Il avait toujours une cigarette au bec et de la peinture sous les ongles. Il a vécu seul toute sa vie. C'était un homme très beau et surtout très libre", raconte-t-il. Cette liberté, Mounir Fatmi en a incontestablement hérité. A 17 ans, sans même avoir attendu d'obtenir son bac, il s'inscrit aux Beaux-Arts de Casablanca. Insatisfait, il quitte l'école au bout de trois mois. Il s'envole alors pour Rome et intègre l'Académie des beaux-arts. Là encore, il est déçu. "L'Académie était trop classique. Tous les élèves se sont mis à dessiner de la même façon. Au bout de quelques mois nous étions tous capables de faire des copies de grands maîtres." Adieu Rome, et retour à la case Casablanca.
" Peint, effacé"
Bon dessinateur, il entre dans une agence de publicité comme simple graphiste. Six ans plus tard, au terme d'une ascension fulgurante, il en est devenu le directeur artistique. "J'ai beaucoup appris sur la façon dont on manipule les images. J'ai compris qu'on fabriquait tout et qu'on pensait à la place des gens. Or c'est précisément ce que j'évite de faire dans mon travail." Là encore, le confort matériel de la vie de salarié ne suffit pas à le retenir et il quitte la publicité pour reprendre sa vie d'artiste.
Ses premiers tableaux, exposés en 2003 à Casablanca, remportent un franc succès. Il reçoit même le prix de la jeune peinture. "Quand j'ai entendu ces petits-bourgeois dire de mon travail que c'était très intéressant, j'ai eu peur. J'ai donc décidé d'effacer toutes mes toiles." Il recouvre chaque toile d'une couche de blanc et titre "Peint, effacé". La presse marocaine se déchaîne et insulte celui qui était jusque-là "un des meilleurs espoirs de la peinture nationale". Mounir Fatmi pêche-t-il par excès d'orgueil? Est-il un incurable velléitaire? Non, c'est une véritable éponge. Il s'imprègne de tout ce qui l'entoure. "Je vis dans l'urgence. Je n'ai pas le temps pour les "j'aurais dû"" explique-t-il. Le confort l'angoisse, le sentiment du devoir accompli lui est étranger. Il ne se laisse enfermer dans rien, même pas dans son identité. "De toute façon, aux Etats-Unis, je suis un artiste français, parce que la french touch fait vendre. Et en France, je suis un artiste issu de l'immigration." Ni nationaliste ni bêtement patriote, c'est un nomade assumé qui ne se sent jamais aussi bien que dans les hôtels et les aéroports.
Conscience politique
Mounir Fatmi se reconnaît pourtant une conscience politique. «Quand on vient d'un pays arabe, on ne peut pas ne pas en avoir. Quand vous voyez les catastrophes qu'a engendrées la politique dans nos pays, Ça ne peut pas laisser indifférent." Il se décrit d'ailleurs comme "un romantique révolutionnaire, naïf et prétentieux". S'il n'était pas naïf, comment aurait-il pu imaginer tourner un remake du célèbre film Sleep, d'Andy Warhol, avec Salman Rushdie pour acteur principal? A ce jour, il n'a pas réussi à convaincre l'auteur, mais il ne désespère pas de reconstituer le personnage en 3D. Et s'il n'était pas prétentieux, il ne serait sans doute pas parvenu à convaincre les Black Panthers, dont la paranoïa est légendaire, de lui vendre des archives et des enregistrements du FBI pour son oeuvre Out of History, commencée en 2006.
Aujourd'hui, son rêve serait de monter un opéra. Cinq cosmonautes musulmans d'obédiences différentes chanteraient en arabe pour se partager les territoires déune planète vierge. "Mais ça représenterait au moins deux ans de travail et un coût énorme. Je suis un peu fatigué de chercher des fonds. A part si je gagne au loto, il y a peu de chances que le projet se réalise tel que je l'ai imaginé." Même si on lui a souvent répété que cela ne se faisait pas, Mounir Fatmi est un artiste qui n'a pas peur de parler d'argent. "Il y a quelque temps, quelqu'un m'a dit: "C'est drôle, maintenant on peut soit acheter un petit appartement, soit une voiture, soit une oeuvre de toi."
" Le programme de Mounir Fatmi est plein jusqu'en 2013. En ce moment, il expose à la Galerie Hussenot, à Paris ("Seeing is Believing", jusqu'au 20 février 2010). Une de ses futures oeuvres comportera des obstacles tenus à bout de bras par des individus de différentes tailles. Pas étonnant pour cet homme à qui seules les barrières semblent donner envie d'avancer.
Leïla Slimani, janvier 2010.
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A plastic artist exhibited in the world's most prestigious museums, he is a Moroccan who started his career working for an advertising agency. Before he moved on to provocation… and then to glory. Mona Lisa with her head flipped upside down, a white sheep eating her hands. At the Tangiers flea market, in the midst of a bric-à-brac of second hand objects, Mounir Fatmi as a little boy discovered Leonardo da Vinci’s masterpiece through a reproduction. "That was my first artistic shock. How could I ever have become a classic artist after that ?" he says with a smile.
If you like watercolors, still lives or marble busts, don't bother with him. Mounir Fatmi (www.mounirfatmi.com) is a video maker, photographer, painter and sculptor and more than anything an elusive artist. Driven by his insatiable curiosity, he bases his work on archives, photographs and even newspaper articles. Most of his work takes the form of ominous installations made of VHS tapes, cables or horse jumping bars. They are disconcerting metaphors of our times. Violent and possessed, they convey a grave and poetic vision of the world.
Anti-conformist
Mounir Fatmi welcomes us in his studio in a Paris suburb. That's where he works, despite the racket coming from the illegal video game arcade next door. "It's a little unconventional”, he admits, though we tend to think it suits him. He might have made 356th in the list of the world's 500 most highly rated artists, with works that sell anywhere between 40.000 and 50.000 euros, he seems to have resisted the siren call of gentrification. Gallery owners call him from New York and Los Angeles, his work has been awarded prestigious prizes, but he continues to work like a humble artisan. "I'm fortunate to have people behind me who reason me and contain my ambitions, otherwise I’d become cynical or depressive." Mounir Fatmi never did things like everyone else. When he was 4, he already knew we wanted to be a painter. But nothing in his early life as a child destined him to such a vocation. His courier father and his housewife mother were always busy with daily chores. They had to feed and raise five girls and two boys. "There weren’t many cultural objects at home. There was a dictionary that was passed around in the neighborhood. The Koran was on a shelf, but we were never pure enough to touch it. And on the wall there was a picture of the king. For a long time, I actually thought he was a member of the family", he says with a hint of impertinence.
For this budding artist, Tangiers in the 1970s is a fascinating world. The last representatives of the beat generation can be found there, among which the famous writer Paul Bowles. But it's his uncle, a construction painter, that Mounir chooses as a role model. "He always had a cigarette in his mouth and paint under his fingernails. He lived alone his whole life. He was a very handsome and above all a very free man", he recounts. Mounir Fatmi undoubtedly inherited that freedom. When he was 17, before he even graduated from high school, he registered at the Casablanca art school. But, dissatisfied with his training there, he left the school after only three months. So he flew to Rome and attended the Academy of Arts there. But he was disappointed again. "The Academy was too classic. All the students started drawing the same way. After a few months, we were all capable of copying the great masters." So goodbye Rome, and back to Casablanca it was.
"Painted, erased"
As he was good at drawing, he joined an advertising agency as a simple graphic designer. Six years later, he had successfully climbed the ladder and become its artistic director. "I learned a lot about the way images are manipulated. I understood that everything was manufactured and that thoughts were put in people’s heads. And that’s precisely what I avoid doing in my work." Again, the material comfort of a salaried job wasn't enough to retain him, so he left the world of advertising and resumed his artistic career. His first paintings, exhibited in Casablanca in 2003, were very successful. He even was awarded the young painters' prize. "When I heard these petits-bourgeois say my work was very interesting, I got scared. So I decided to erase all my paintings." He covered them all with white paint and titled them "Painted, erased". The Moroccan press went wild, covering in insults a man who had so far been seen as "one of the great hopes of Moroccan painting". Should this be seen as a sign of Mounir Fatmi's excessive pride ? Perhaps he is nothing more than a hopelessly indecisive artist ? No, he's just a veritable sponge. He takes in all that surrounds him. "I live with a sense of emergency. I don't have time for 'should-haves'", he explains. Comfort distresses him, the sensation of having accomplished his duty is a foreign concept to him. He won't let himself get locked inside anything, not even his own identity. "Besides, in the US I'm a French artist because the French touch sells. And in France, I'm an immigrant artist". Not a nationalist nor idiotically patriotic, he is a self-proclaimed nomad who never feels more at ease than in hotels and airports.
Political conscience
Nevertheless, Mounir Fatmi does admit having a political conscience. "When you come from an Arab country, you can't not have one. When you see the catastrophes caused by politics in our countries, you can't just stand by. " Incidentally, he describes himself as "a revolutionary, naïve and pretentious romantic". If he wasn't naïve, how could he have imagined shooting a remake of Andy Warhol's famous film Sleep, with Salman Rushdie as the main actor ? To this day, he hasn't managed to convince the writer, but he's hopeful he can recreate the character in 3D. And if he wasn't pretentious, he probably wouldn't have been able to convince the Black Panthers, whose paranoia is legendary, to sell him certain archives and FBI recordings for his piece Out of History, initiated in 2006. Today, his dream would be to put together an opera. Five Muslim astronauts of diverse observances would sing in Arabic and split between themselves the lands of an untouched planet. "But that would require at least two years of work and a lot of money. I'm a little tired of looking for funding. Unless I win the lottery, chances are slim the project will ever come to life the way I imagined it". Even if he's been told many times that it's rude, Mounir Fatmi is an artist who isn't afraid of talking about money. "Some time ago, someone told me: 'It's funny, today one can buy a small apartment, a car or one of your pieces'."
Mounir Fatmi's calendar is fully booked until 2013. He is currently exhibited at Galerie Hussenot in Paris ("Seeing is Believing"). One of his future pieces will feature obstacles held at arm's length by individuals of various heights. Which isn't surprising for this man who seems to be only driven by obstacles.
Leïla Slimani, January 2010.
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