Le travail de mounir fatmi s’élabore progressivement en une axiologie rhyzomatique, une écriture comme un entrelacs de points de vue et de connexions. Avec son regard critique sur les réalités et les fantasmes du monde contemporain, il écrit que celui-ci ne peut se lire que dans la complexité, la confusion parfois, de ses approches.
Ses oeuvres multiplient les lectures, dans des stratifications sémantiques mettant en réseau tous les domaines de la pensée. Ses préoccupations sont autant esthétiques que formelles, politiques que sociologiques, économiques qu’éthiques, métaphysiques que religieuses. Cassettes VHS, câbles d’antenne, barres d’obstacle, casques de chantier : ces matériaux techniques, pauvres ou ordinaires, sont détournés, réhabilités en vocables plastiques. Leur usage ne se limite pas à une transposition duchampienne mais joue sur le double registre de la sémantique et de la métaphore, pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils représentent. Les œuvres de mounir fatmi fonctionnent comme des stratégies, des pièges. Objets anodins mus en bombes critiques, ils pointent les mécanismes de notre relation fantasmatique au monde dans les idéologies comme pour la conscience individuelle, l’architecture contemporaine ou l’économie, la politique ou l’idée de modernité, dans sa part de fascination pour l’invisible. Tout en confrontant des moments de l’histoire de l’art, ils questionnent la transmission des savoirs, le pouvoir de suggestion des images dans le vortex médiatique, la séduction de la violence et la force critique de la déconstruction, les utopies, le poids de l’Histoire ou de l’architecture sur les destinées individuelles.
A une histoire totalisante, mounir fatmi opposera toujours une histoire « intempestive » (Deleuze); à la religion, il préfèrera toujours le savoir et à la Vérité, les livres et les mots. Sous un vocabulaire plastique oscillant entre minimalisme et esthétique de la densité et de l’enchevêtrement, se construit un système d’hypothèses sémiotiques, dans une incertitude méthodique.
Chez mounir fatmi, l’instabilité, à la fois risque, crise et tension des opposés, donne à voir un état permanent de précarité dans lequel toute certitude peut être déconstruite, dans lequel il n’y a plus ni centre ni transcendance. Au travers de cette vision d’une humanité dans son inachèvement essentiel, s’affirme la nécessité de la lutte, du dialogue et de l’engagement. Le travail de mounir fatmi est un acte permanent de lucidité et de résistance contre les déterminismes, les totalitarismes et l’écrasement des individualités. Résister pour exister, parce que la vie est par essence pouvoir de résistance.
Dans la ville sans visages, Les égarés ont pris possession des toits, comme un défi. Debout sur la coupole d'un marabout, le regard tourné vers l’horizon, ils revendiquent leur désir d’être libre, de penser, de sentir, d’exister, « d'échapper à la névrose obsessionnelle dont témoignent les vrais égarés, ceux qui, dans la dernière partie de la vidéo, psalmodient, à leur insu, l'ordre du discours ». L’homme sans cheval - 03 fait partie d’une trilogie autour de trois formes connexes de chute, physique, métaphysique, historico-politique. Un homme dans une tenue de cavalier apparaît en haut d’un chemin. Il donne des coups de pied dans un livre. Ce livre porte un titre : Histoire. Mais quelle Histoire ce cavalier entend-il bousculer ou détruire ? Est-ce la « fin de l’histoire » ? Dans ce geste rageur d’un livre détruit et traîné dans la boue, semble s’affirmer le refus d’une Histoire comme « justification de tous les sacrifices », « principe d’arbitraire et de terreur », la résistance à cette Histoire qui « suggère un autre royaume, dogme sans fondement qu’on se verra imposé par ceux à qui le dogme profite » (Albert Camus). Mais l’individu y résistera-t-il? Si assuré dans son pas, si acharné dans sa destruction, à la fin pourtant, l’homme s’effondre dans la boue. « L’homme est le seul héros de sa propre histoire ». Pour mounir fatmi, l’Histoire et la politique s’incarnent toujours dans des trajectoires individuelles en lutte contre les déterminismes.
Marie Deparis-Yafil
Paris, janvier 2009
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Mounir Fatmi's work develops gradually according to a rhizomatic system of values, where the inscription is like a network of opinions and connections.
With his critical view on contemporary realities and illusions, he states that the only way to read this is in the context of complexities and, at times, of confusion as to the ways to approach it.
His works create even more interpretations in the semantic layers which connect all the areas of thinking to one another. He is engaged in both the aesthetic and the formal, the political and the sociological, the economic and the ethical, the metaphysical and the religious.
Video cassettes, antenna cables, protective helmets: These technical materials, simple or common, are transformed and re-created into plastic vocabulary. The practice is not limited to a transference à la Marcel Duchamp, instead they play on the double registers of the semantics and the metaphor in the way they are and in the way they represent.
Mounir Fatmi's work functions as failing strategies. They are harmless objects, changed into critical bombs directed towards the mechanisms which guide our illusory relationship to the world, individual ideologies, contemporary architecture or economics, politics or in the understanding of modernity as a part of the fascination with the invisible.
While they comprise moments of art history, they also question the transference of knowledge, the suggestive power of pictures in the maelstrom of the media, the seduction of violence and the critical power of deconstruction, utopias as well as the oppressive influence of history or architecture on individual lives.
Mounir Fatmi always confronts an "untimely" (Gilles Deleuze)history with the totalizing one; he always prefers knowledge and truth, books and words to religion.
In a plastic vocabulary that oscillates between minimalism and the aesthetics of density and tangling, a system of semiotic hypotheses is constructed within a methodical volatility. Instability means for Mounir Fatmi both risk, crisis and tension between two opposites, everything at one and the same time.
We are witnessing a permanent state of insecurity where every certainty can be deconstructed and where there is neither centre nor transcendence. Through this vision of basic human imperfection, the necessity to fight, to dialogue and to get engaged is confirmed. Mounir Fatmi's work is an eternally conscious action and opposition to all forms of determinism, totalitarianism and every attempt at breaking down individualism. To exist is to oppose since life basically is subversive power.
In the faceless city, The Lost Ones, have as a plea occupied the roofs. Standing on the cupola of a grave monument, looking towards the horizon, they declare their wish to be free, to think and feel, to exist, "to avoid the neurosis those truly confused seem to be obsessed with, those who at the final section of the video without being aware of it just monotonously chant everything that is said."
Man without a Horse is a part of a trilogy about three similar kinds of falls; physical, metaphysical and historical-political. A man wearing a riding habit appears at the top of a road. He is kicking a book, time and again. The title of the book is: The History. But which History is it that the rider has decided to overthrow or destroy?
Is it the end of the history?" This furious gesture to destroy a book and drag it in the mud, is it the denial of The History seen as "legitimating of every victim", "the principle of conditionality and terror,"it is opposition to this History which "alludes to another kingdom, to an unaccounted for dogma which is forced upon one by those who are profiting from it" (Albert Camus). But can the individual resist this? The man steps with determination to carry out the devastation, but despite this he in the end collapses into the mud. "Man is the sole hero in his own history." History and politics for Mounir Fatmi is always legitimated in the paths of the individual, in the fight against all determinism.
Marie Deparis-Yafil
Paris, January 2009
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