mounir fatmi est un artiste de la résistance. Cela commence par son nom, écrit sans majuscules pour remettre en question les orthographes conventionnelles qui ne lui conviennent pas. Il est né à Tanger et vit à Paris, et l’idée de l’exile et de l’iconoclasme des traditions occidentale, africaine et arabe revient fréquemment dans son répertoire. Ses œuvres sculpturales tendent vers le monumental dans leur tonalité concise et autoritaire ainsi que leur usage des raccourcis symboliques ; par conséquent, le vacarme chaotique qui attend le visiteur derrière la calme devanture d’Analix Forever est surprenant.
« Sans anesthésie » est dominé par quatre vidéos créées durant la longue résidence de Fatmi au centre culturel Le Chaplin à Mantes-la-Jolie. Le « jolie » dans le nom de la ville est trompeur, tant aujourd’hui elle est connue moins pour sa beauté que pour l’immense cité HLM du Val Fourré où les équipes de télévision se rendent pour capter des images d’émeutes et de voitures en feu. Le Val Fourré a été construit dans les années 60 pour répondre à une forte demande de logements, mais la vision optimiste des promoteurs immobiliers avait été battue en brèche avant même que le projet ne soit terminé. Des financements réduits ont conduit à construire plus densément que ce qui avait été prévu à l’origine, et le projet ne fut pas intégré dans les infrastructures de transport, le laissant isolé. En ajoutant à cela des infrastructures sportives et éducatives de piètre qualité, les classes moyennes ont fui, laissant la place à des populations d’immigrés récents dont le manque de maîtrise de la langue n’a fait que les isoler davantage. Au milieu des années 90, la cité était devenue un cas d’école d’urbanisme raté, et la démolition était l’unique solution envisagée.
fatmi avait accumulé des images de divers stades de la démolition progressive du Val Fourré durant ses différentes résidences au Chaplin depuis 2002. Le bruit métallique des nombreux bulldozers est incessant, ramassant et déplaçant les gravats, tandis que différents accompagnements musicaux, de Schönberg à du hip-hop, se font entendre dans chaque vidéo, proposant différentes bandes-son possibles, mais qui ne se marient jamais avec conviction. Des plans rapprochés montrent des mains qui abattent murs et sols, laissant hors champ les conducteurs et ouvriers, aussi absents de la scène que les anciens habitants. Au milieu de ces vidéos projetées sur trois murs de la galerie, se trouve la sculpture toute blanche Underneath (2007), une table en bois immaculée percée de formes ressemblant à des gratte-ciel. Sur un écran, une série d’intérieurs colorés et ensoleillés sont une macabre riposte à l’idée même que des améliorations cosmétiques pourraient apaiser la situation.
Les images de fatmi sont insupportablement muettes et angoissantes : des images de surveillance refusant de livrer une explication. Plutôt que de donner la parole aux habitants du Val Fourré, c’est la caméra de fatmi qui parle. Le contexte de la résidence de l’artiste est saturé de tension, et il n’est pas nécessaire de regarder longtemps pour ressentir une certaine culpabilité. Que peut et doit faire un artiste ici ? Dans une interview, fatmi a récemment admis que « produire une proposition artistique en réponse à ce qui se passe dans le monde est très compliqué et peut-être prétentieux ». À la lumière de ce contexte particulier, fatmi a contrebalancé l’esthétisation des répercussions des migrations économiques (le fait de faire entrer ces images dans une galerie d’art) par son refus d’y appliquer son esthétique propre, en les présentant simplement et sans conclusion.
Aoife Rosenmeyer
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mounir fatmi is an artist of resistance. It starts with his name, written lower case to challenge conventional orthographies that do not accommodate him. He was born in Tangier and lives in Paris, and the idea of exile and iconoclasm of Western, African, and Arab traditions appear frequently in his repertoire. His sculptural works tend toward the monumental in their concise, authoritative tone and their use of symbolic shorthand, so the chaotic din that greets the visitor behind the quiet shop-front of Analix Forever is surprising.
"Without Anaesthesia" is dominated by four video works generated during fatmi's lengthy residency at Le Chaplin cultural centre in Mantes-la-Jolie. The "jolie" in the name is misleading, as today the town is best known not for beauty but rather the huge Val Fourré housing development in the Parisian banlieue where television crews go to capture suburban unrest and burning cars. The Val Fourré was built in the 1960s to meet a sharp increase in demand for homes, but the developers' optimistic visions had clouded over even before the project was complete. Stifled funding brought about denser housing than originally planned and the project was not integrated into a broader transport infrastructure, leaving it marooned. Add to that poor sporting and educational facilities, and middle class earners jumped ship, making way for recent immigrant populations whose lack of linguistic integration isolated them further still. By the mid 1990s, the development had become a test case for failed civic architecture; demolition was part of every proposed solution.
fatmi has collated film documentation of different elements of the gradual demolition of Le Val Fourré during different periods of residency at Le Chaplin since 2002. The clanking of numerous heavily articulated bulldozers as they grab and drop detritus is ceaseless, while different musical accompaniments, from Schoenberg to hip-hop, weave through each video offering possible soundtracks, yet never fusing with conviction. Close framing shows mechanical hands that pick and pull at walls and floors, cutting out the drivers and foremen, who are as absent from the scene as the erstwhile residents. In the midst of these videos on three of the gallery walls is the all white sculpture Underneath, 2007, a pristinely painted wooden table pierced by high-rise oblongs. On one screen a series of colorful interiors caught in sunshine make a macabre riposte to the very notion that cosmetic improvement could salve the situation.
fatmi's images are excruciatingly dumb and disquieting: surveillance footage that refuses to supply an explanation for itself. Rather than giving voice to the residents of Val Fourré, it's fatmi's camera that does all the talking here. The context of the artist's residency is saturated with tension, and you don't have to watch for long to get a sense of guilt. What can and should an artist do there? In an interview, fatmi recently admitted that, "producing an artistic proposition in response to what's happening in the world is so complicated and perhaps pretentious." In light of the specific context, fatmi has balanced the aestheticization of economic migration's repercussions (when he brings these scenes into an art gallery) with the refusal to stamp his aesthetic on it, by presenting it simply and inconclusively.
Aoife Rosenmeyer
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