Michèle Cohen Hadria : Tu as préféré que nous fassions une interview, plutôt qu'un texte présentant ton travail lié à l'exposition - mais pas seulement à l'exposition - dans le quartier du Val Fourré à Mantes la Jolie. Ton travail est tendu entre deux pôles : celui d'une pédagogie libre proposée aux gens de cette banlieue réputée difficile, et celui de ta création personnelle d'artiste nourrie de ces relations très importantes pour toi.
mounir fatmi : Oui, car un texte, au fond, me semblait moins adapté à la situation dont nous allons parler. L'idée était plutôt que ce catalogue ne soit pas limité à l'exposition, ni exclusivement réservé au milieu de l'art, mais qu’il se destine à la population du quartier le Val Fourré afin de mieux leur expliquer ma démarche, puisque c'est avec eux que je travaille, et que la plupart se sont souvent demandés ce que je fais ici. Le travail entrepris avec eux renvoie à toutes mes expérimentations de 1999 à 2002 allant de ma vidéo "Les autres, c'est les autres", jusqu'à Ovalprojet. Je voudrais aussi qu'ils comprennent les raisons de mon installation dans "leur" quartier et que cette interview puisse apporter des réponses à des questions auxquelles j'ai été souvent confronté, comme : "Pourquoi le nom du quartier du Val Fourré est devenu le titre de ton projet ?", " Est-ce que ce n'est pas de la récupération ?", " Qu'est-ce que tu viens faire chez nous ? " etc.
MCH: Tu dis qu’ils te demandent ce que tu fais et pourquoi, cela signifie-t-il que toi qui, justement, travaille sur le concept de relation à "l'autre" tu leur apparais néanmoins comme "autre" ? Donc, j'ai envie de te demander quels sont tes rapports avec eux et qui sont ces personnes ?
MF: Ce sont les habitants du quartier le Val Fourré, la plupart sont très attentifs à mon statut. Cette observation peut aller de mon habitude à acheter mon journal, à celle de mes entrées et sorties du Centre culturel Le Chaplin, à mes conversations avec le coiffeur. Bref, au fait que je suis totalement immergé dans leur quartier, à mon choix de vivre là, d'y avoir loué un appartement, tout cela crée une série de questions qui convergent autour de ma présence parmi eux. Pour moi, c’est un vrai terrain de travail, je n’ai pas non plus la prétention d’avoir des solutions à leurs problèmes, il ne s'agissait pas de faire un discours sur les banlieues sans y vivre. D'ailleurs, tout commence par cette question que l'on me pose : "Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?"... une phrase peut-être banale, mais qui devient vite le moteur de mon travail.
MCH: Que leur réponds-tu ?
MF: Si je dis : "eh, bien, je suis artiste", cela crée immédiatement un décalage. Si je dis même que je suis photographe (croyant ainsi me simplifier la tâche), alors ils pensent aux photographes de mariages, c'est même ce qui m'a amené, la semaine dernière, à filmer mon premier mariage marocain dans le quartier. Cette vidéo servira à la fois à un projet d'installation et à un film de souvenir, puisque ici, la photographie ou la vidéo est synonyme de mariage, de fête. Je réalise donc ce film selon leur souhait, puis je négocie pour pouvoir en extraire des images pour mon propre travail à venir. Je ne prononce jamais le mot artiste, finalement c’est comme dans le milieu de l’art contemporain, c’est très péjoratif de dire " je suis artiste ".
MCH: Existe-il une ligne de démarcation entre tes activités liées au quartier du Val Fourré et celle de ton travail d'artiste à proprement parler, entre ce que tu déploies comme travail dans et pour le tissu social et d'autre part, l'art comme résultante ?
MF: C'est très entremêlé en fait. Il n'existe pas vraiment de ligne de démarcation, je fais même tout ce que je peux pour qu'il n'y en ait pas. Les gens éprouvent ici un vrai problème d'image face à leur ville. Comme tu sais, c'est une banlieue très critiquée, qui a été indexée par les médias français comme "violente, chaude, explosive", etc... Cela leur pose un vrai problème d'image. Certains, lorsqu'ils cherchent du travail, vont même jusqu'à inscrire une autre adresse que la leur, tant ils sont d'emblée stigmatisés comme des casseurs, des "sauvages". Donc les gens en ont assez et ils veulent maintenant contrôler leur image. Aussi, dés qu'ils te voient avec une caméra, ils t'interpellent et te lancent : "C'est pour quelle chaîne de télé ?" En même temps, les images de télévisions de leurs propres pays d’origine qu'ils captent à travers les paraboles ne leur correspondent pas vraiment non plus. Donc, ils se retrouvent sans aucune représentation d'eux-mêmes.
MCH: Ils supportent une "image de trop", celle de violents, d'inadaptés à la société française mais souffrent aussi d'un "pas assez d'image" à travers les télévisions d’origines ?
MF: Exactement. En fait, je pense que l’immigré n’a pas d’image. Ni la perception médiatique française, ni celle de leurs propres pays ne les représentent réellement.
MCH: À ce sujet, j'ai relevé une anecdote qui, je pense, t'intéressera. C'est le résultat d'un travail mené par Jean-François Chevrier à l'école des beaux-arts de Paris, lors d'un séminaire accompagnant durant quelques mois l'exposition intitulée "Des Territoires". Une expérience qui se trouve justement comme ton travail au croisement des sciences sociales et de la recherche artistique. C'est une histoire rapportée par l'artiste marocaine, Yto Barrada, qui avec un camarade a organisé à Tanger et à Marseille un laboratoire d'images pour un centre qui se consacre à l'accompagnement de jeunes enfants marocains clandestins, trop jeunes pour êtres jugés ou reconduits au Maroc et qui séjournent donc dans un foyer qui s'appelle "Centre des Enfants Errants". Lorsque, après avoir mené des expériences autour du dessin et de la photographie, centrés sur la représentation de soi ou sur celle du passage d'une rive à l'autre de la Méditerranée pour ces enfants, ces deux artistes ont interrogé les enfants sur le sens de l'appellation du centre, beaucoup ont dit n'y avoir pas pris garde. Ils s'étaient en fait approprié le nom du Centre par le biais d'un lapsus tel que "Centre des Enfants Héros" ou "Centre des Enfants Zéros"... Ainsi, leur représentation d'eux-mêmes oscillait entre "être vraiment quelqu'un" ou... "n'être rien"... Je pense que c'est le même problème pour les gens du Val Fourré pour qui il s'agit soit d'être considérés comme marginaux, délinquants etc, soit de devenir quelqu'un par rapport à eux-mêmes... Dans le cas de ton projet donc quel sera le rôle joué en leur faveur par les paraboles entre la France et le Maroc ?
MF: Lorsque j'ai tourné à Paris la vidéo "Les autres, c'est les autres", en 1999, le montage et la post-production se sont effectués au Centre culturel le Chaplin. Faute de moyens, le directeur du centre m'avait proposé d’être hébergé dans une famille marocaine qui habite le quartier du Val fourré. Ce que j'ai accepté avec joie. Lors de mon séjour, on y regardait souvent la télévision marocaine. J'ai vite compris qu'il y avait un lien de cette communauté avec la télévision du pays par le biais de laquelle les parents souhaitent que leurs enfants gardent un contact avec la langue, la culture, la religion et les traditions. Ce qui m'a beaucoup amusé, c'est qu'inversement, au Maroc, je me servais de la parabole pour regarder les télévisions étrangères. C’etait la seule manière d’être informé sur ce qui se passait dans le pays, puisque à l’intérieur l’information était inaccessible. La parabole a un rôle de transmetteur qui fait retour comme une boucle, donc il faudrait diffuser au Maroc pour être vu ici. De là est née l'idée d’"OvalProjet". Puis en 2001, il y a eu la rencontre avec le documentariste Laurent Huet, qui a très vite compris l’intérêt du projet et est devenu un vrai complice.
MCH: Juste une petite parenthèse : lorsque tu vivais au Maroc, est-ce que le Marocain était représenté par sa télévision et comment ?
MF: Non ! La télévision marocaine ne représente personne, c’est un vrai hôpital pour lavage de cerveau. Comme la plupart des télévisions du monde bien sûr. Mon idée est de concevoir un système d'images qui circulent, qui fassent la "boucle", des images destinées à la communauté des immigrés installés en Europe ou ailleurs et qui par le biais des paraboles reçoit les émissions en provenance de leurs pays. En fait, au Maroc on ne connaît rien sur nos immigrés, on pense seulement qu’ils sont des privilégiés toujours insatisfaits. Moi le premier, lorsque je vivais au Maroc, il me semblait qu'en France, on ne manquait de rien.
MCH: Est-ce que ton projet sera présenté dans un programme de télévision au Maroc ?
MF: La vraie expérimentation d’Ovalprojet c’est la diffusion. On tournera des documents dans la perspective d'une diffusion sur les télévisions internationales, qu’elle soit Marocaine, Sénégalaise ou Turque. Tu sais, les médias viennent périodiquement à Mantes la Jolie. Et parmi nos projets, c’est de former une équipe de tournage capable de les suivre et de les filmer. Il s'agira de faire un film sur des médias filmant le Val Fourré. L'enjeu de ce travail est la question télévisuelle. Cela rejoint un peu ce que j'ai fait auparavant au Maroc avec ma peinture que j'effaçais en présence de "témoins" car face à la question de l'effacement ou d'un déni, quel qu'il soit, il est important d'être là, d'être les "témoins" et d'aller jusqu'au bout. Ensuite, l'accent sera mis sur le suivi et la diffusion.
MCH: Ce serait un "travail d'artiste" qui passe à la télévision, et à la fois un travail collectif de documentariste.
MF: Je pense qu’il ne suffit pas d’avoir une réflexion sur la télévision sans passer par la question de la diffusion. Il n’y a pas pire que des images dans un tiroir. Les réalisations d’Ovalprojet seront de plusieurs types, du documentaire à la fiction en passant par les clips vidéos. J’aimerais bien travailler aussi avec des images d’archives, et que cette matière soit utilisée de la même manière que la pâte à modeler. Il faut questionner les images, les opposer, les confronter à elles-mêmes.
MCH: L'image est donc pour toi un matériau ?
MF: C'est de la peinture (rires). De la peinture qu'on n'a pas encore utilisée, qui n'est pas encore sortie du tube. Depuis que j'ai acheté ma caméra en 1999, je n’ai pas arrêté de tourner des images, au Maroc, en France, aux Etats-Unis, mais elles ne deviendront "mes images" que lorsque je les aurais choisies et montées. Pour moi les images, ce ne sont pas ce qu’on tourne, mais ce qu’on décide de montrer aux autres. L’image est matière, le texte aussi, d’ailleurs, je ne sais pas lire sans stylo. Je souligne, je dessine, je gratte, j’efface même des passages quand je ne suis pas de même avis que l’auteur. Je pense qu'on peut avoir une relation vraiment interactive avec le livre.
MCH:Est-ce parce que de cette façon, il devient vraiment tien ?
MF: Effectivement, j'interviens sur le livre d'une façon qui est impossible d'appliquer sur un écran de télévision. J'aimerais, bien lorsque je regarde la télévision, pouvoir arrêter les images, les gratter, les souligner, leur dire "non", les rayer. La télévision ne s'y prête pas car l'image télévisée est inaccessible, elle est faite pour être consommée passivement.
MCH: C'est bien ce que tu fais en transformant des romans policiers en "livres d'artiste" ?
MF: Oui, j'y interviens totalement, sans limites. J'y inscris des vignettes sur fond de texte, je les noircis, les articule, les désarticule. Et même lorsque j'y dessine quelque chose, je raye mes propres dessins, c'est un vrai travail plastique. Si le livre ne se fermait pas sur lui-même il aurait pu être une vraie image.
MCH: Pour Ovalprojet, opéreras-tu aussi selon ces modes hybrides ?
MF: Ovalprojet cherche les questions qui sont capables de créer des images. Il ne suffit pas d’utiliser des caméras, on est vraiment obligé de poser la question de "l’image de l’immigré" ainsi que "l’image immigrée" passer par différents médiums et techniques, pour arriver à la fabriquer. J'aimerais que l'on travaille au moyen de la pâte à modeler avec les aînés du quartier pour créer quelques documents, puis essayer de les diffuser dans des programmes de télévisions étrangères. Peu importe si ces représentations pourront paraître décalées, la réalité de ce décalage n'est pas grave, c'est même une des choses les plus importantes de ce travail dont nous devrons tenir compte.
MCH: Ce serait une "pâte à modeler politique" ?
MF: ...Une pâte à modeler politique ou sociale, l'idée est de libérer les images, de faire en sorte que les gens comprennent qu'ils font partie du processus de création de leur propre image. De défendre aussi le droit à leur diffusion. Et ça, c'est le plus grand problème. Il y a des centaines de films d'archives privées qui dorment dans des tiroirs. Des films de famille en super 8 exhumés parfois par des artistes qui les sortent ainsi de l'oubli pour en faire quelque chose. Or, à la télévision, ces images-là ne trouvent aucun accès. Car la télévision n'obéit qu'à des objectifs commerciaux.
MCH: Mais ne crains-tu pas de te heurter à ce type de refus ? Et dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux filmer ce refus même ?
MF: Dans ce cas-là, l’échec est un résultat, et il faut l’accepter. Après la révolution de l’image, avec l’accessibilité des caméras et des moyens de montages grâce aux ordinateurs, je pense que c’est le moment de penser sérieusement à la diffusion. J’aimerais bien voir des personnes arriver à cette réflexion. Il s'agit d'un vrai combat à mener contre l'institution télévisuelle.
MCH: Si tu filmais cela, ce serait "doublement inmontrable"... mais au moins cet obstacle serait de la réalité...
MF: Oui, nous serions complètement dans le réel. Et c'est ce que je défends par rapport à la difficulté. Une image reste toujours difficile à faire et à montrer. Une image implique toujours une sorte de passif, de coulisse. Il y a toujours un travail caché qui préside à l'apparence finale d'une image. Même ce qu'on en voit n'est jamais exactement ce qu'elle est...
MCH: Si tu dis que c'est difficile, presque impossible, est-ce que tu ne les décourages pas ?
MF: Ce que je veux c’est qu’ils soient conscients de cette difficulté. Qu’ils s’agissent de la création ou de la diffusion des images. Je n’oblige personne à créer quelque chose à tout prix ou à diffuser sa vie à la télévision. Les gens peuvent fréquenter nos ateliers et en sortir sans avoir forcément produit quelque chose. Ce n'est pas ça qui compte. Et même en cas d'échec, on apprend nécessairement toujours quelque chose. Au contraire, la difficulté du projet peut même les stimuler.
MCH: À travers une réalisation comme le projet "pâte à modeler", penses-tu pouvoir aller au-delà de cet aspect caché du processus de l'image dont tu parlais tout à l'heure ?
MF: L’objectif est celui de la création et de la diffusion des images, faire partie de cette boucle qui relie la parabole à la télévision du pays d’origine. C’est encore une fois libérer les images des tiroirs : qu'il s’agisse de pâte à modeler, de collages, de fictions, de clips vidéo sur le hip hop, de documentaires sur un mariage marocain ou d'incendies de voiture. Il faudrait un jour pouvoir travailler sur ce phénomène des voitures brûlées au Val Fourré ou ailleurs, sachant bien que la première génération maghrébine était venue en France pour travailler dans les mines et assembler des pièces détachées d'automobiles et que la nouvelle génération les brûle, les démembre et les met en pièces. Il y a tellement de questions, comme celles-ci qui se posent. Il y a des conflits de générations, des problèmes avec les "étrangers". Voilà d'ailleurs un lapsus intéressant car, dans les banlieues, ce sont les Français qui sont "étrangers". C'est là que s'opèrent des renversements inattendus. Comme dans la vidéo "Les autres, c'est les autres" cet Africain qui disait d'un ton convaincu : " ...Des étrangers ? Mais il n'y a pas d'étrangers " tandis que les Français interrogés répondaient pour leur part "Mais, il n'y a que des étrangers".
MCH: Puisque, pour les gens du Val fourré, les étrangers ce sont les Français et que leur vrai pays reste leur pays d’origine, que signifie pour eux un lieu comme Mantes la Jolie, une plateforme... ?
MF: Je dirais peut-être une gare, un aéroport, une salle d’attente. La plupart n’ont qu’un seul rêve "partir" ici c’est l’échec, on ne peut pas débarquer ici, si on a réussi sa vie ailleurs. Cette situation me rappelle beaucoup la situation des jeunes Marocains qu’on appelle "harraga" qui veut dire les "brûleurs", tous rêvent de "partir". Parfois, j’ai l’impression que Mantes la Jolie, n’est qu’un projet.
MCH: Un projet ?
MF: Oui, un projet. Et non pas une ville.
MCH: Mais est-ce que pour eux aussi c'est un "projet" ? ...
MF: Non, mais j'aimerais les amener à cette réflexion qui consiste à comprendre que le malaise que nous sentions vient de ce que nous ne sommes pas, en fait, dans une vraie ville. Ainsi l’idée du projet pousse à la construction et non au contraire.
MCH: Tu veux dire, même architecturalement ?
MF: Le mot même "Val Fourré" dit tout. C'est terrible de voir comment l'architecture écrase les gens et les met en boîtes. Lorsqu'on s'approche des parkings, il y a des traces de voitures brûlées, des traces de débris de verre autour de chaque cabine téléphonique, chaque arrêt de bus. Je t’assure que c'est une ambiance pas terrible. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler un lieu de vie.
MCH: S'ils disent que les Français y sont des étrangers, n'est-ce pas que le Val Fourré est "leur territoire", je veux dire, en un certain sens, celui d'une souffrance ?
MF: Oui, mais le pire est que les Français qui habitent ici font partie le plus souvent de la classe la plus démunie et sont aussi "étrangers" par rapport aux Français qui habitent le centre de Mantes la Jolie, ou Paris. L'étranger dans ce sens-là signifie celui qui est en échec, celui qui touche le RMI, celui qui est en marge, celui qui n’a pas réussi une vie sociale. On peut être étrangers aussi dans ce sens-là !
MCH: Mais lorsque les jeunes brûlent des voitures, ont-ils la conscience de s'exprimer eux-mêmes ? Je pense à un fait qui m'avait intéressée, lorsque José Bové a détérioré un Mac Donald. C'était un geste qui tenait presque de la performance artistique pour moi... Un geste politique, éthique, mais sans doute José Bové savait-il que ce geste avait aussi une portée symbolique.
MF: Oui, mais la seule différence est que José Bové est une "tête d'affiche", un homme des médias. Ces jeunes, non. José Bové porte son image, et il la gère très bien, il sait comment faire le "show". Ces jeunes au contraire ne sont pas un individu mais un groupe. Il n'y a donc personne pour prendre en charge leurs actes, quand il leur arrive de "disjoncter". J'interprète ce fait d'incendier des voitures, comme un moyen de communication, et cela m'a conduit à la métaphore des Indiens d'Amérique. Lorsqu'on voyait les signaux de fumée, chez les Indiens, on savait qu'il y avait message à transmettre. Lorsque je vois à Mantes la Jolie la fumée qui monte dans le ciel, je me dis "Il y a des gens qui souffrent". C'est extraordinaire que des gens qui vivent dans un monde de communication sophistiquée, internet, portables etc., nous envoient encore des messages avec du feu et de la fumée ! et qu'ils soient obligés de brûler des voitures pour dire : "Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas dans votre système".
MCH: Brûler une voiture et se dire "voilà j'ai réagi" est une chose. C'en est peut-être une autre de revoir le film de cet événement, de l'étudier avec quelqu'un, de prendre conscience que l'on s'est exprimé. Quelque part, et à partir de là, cela pourrait-il avoir l'effet d'une thérapie... ?
MF: Je ne suis pas un thérapeute et les images ne peuvent pas fonctionner comme des médicaments capables de guérir un mal très profond. En fait je me suis aperçu qu'il y a une vraie relation entre le feu, les caméras et les voitures. Les jeunes sont parfaitement conscients qu'incendier des voitures fera bouger les médias. Parfois, les voitures ne sont brûlées qu’en présence des caméras, les médias sont presque complices de cet acte. Cela me rappelle la guerre en Afghanistan où les journalistes paient les soldats de l’alliance du nord pour qu’ils tirent quelques cartouches, et parfois plus. J'appelle ces incendies des "œuvres collectives". Je ne me pose pas non plus en défenseur de la casse et des incendies, évidemment. Mon travail consiste à les amener à ce type de réflexion.
MCH: Ce que tu vas filmer dans le cadre d’Ovalprojet sera aussi montré dans ton œuvre ?
MF: Ovalprojet est une expérience collective qui me permet de travailler avec les gens et non sur eux. C’est une période très importante dans mon travail où je me pose beaucoup de questions, sur ce que je prends et ce que je suis vraiment capable de donner. Du fait que tout ce qui sera réalisé dans ce cadre m’enrichit et enrichira mon travail. Dés les trois premiers mois passés au Val Fourré j’ai été frappé par le manque de studio photographique dans le quartier. Pour se procurer des pellicules, il faut aller au centre de Mantes la Jolie. J’ai l’impression qu’au Val Fourré, on n'a pas accès à l'image. Alors qu’il y a 96 nationalités, avec leurs fêtes, leurs traditions, leurs coutumes. J’aimerais bien pouvoir ramener quelque chose, et éviter de faire un travail de surface.
MCH: Quelles sont ces nationalités ?
MF: Il y a des Marocains, des Sénégalais, des Yougoslaves, des Kurdes, des Turcs... autant dire un microcosme du monde ! Le projet "libre-échange" que j’ai commencé en 1999 et qui consiste à déplacer des identités dans le monde, à travers une pratique d'échanges de badges et de prénoms avec les spectateurs, se prête plus que jamais au quartier du Val Fourré.
MCH: Prenons le moment d'aboutissement de l'œuvre, lorsque d'une part tu reconstitues le salon marocain qu'ils ont chez eux, ou qu'ils ont vu chez les parents de leurs amis et un balcon typique des cités par quoi tu proposes une sorte de dedans-dehors et d’autre part, lorsque tu diffuseras sur grand écran les images des chaînes de télévision de leur pays respectif… Les gens vont (re) voir des images qu'ils ont l'habitude de voir à la télévision. En les revoyant sur grand écran, cette différence de format va déjà créer une distance, un recul par rapport à quelque chose que l’on connaît, qu'on a l'habitude de voir chez soi. Mais où, en définitive, se situera l'œuvre ?
MF: Je ne veux pas me demander "où est l'œuvre ?" c'est là tout le problème de "l'esthétique relationnelle", cette question perpétuelle de définir la place de l'œuvre. C'est comme si je me réveillais un beau matin en me demandant : "Où est la vie ? " La vie n'est pas dans un arbre, ni dans un bus... la vie est partout. Je me dirais alors : "je ne sais pas où est la vie, donc je ne me réveille pas !" (rires) Lorsque j'ai montré la sculpture "Comas" à la fondation Actua à Casablanca, un spectateur, perplexe, m'a demandé : "Mais Monsieur, je ne vois pas votre œuvre, où est-elle ? ". Je lui ai proposé un badge avec mon nom et prénom, en échange du sien ; ensuite je l'ai photographié pour garder une trace. En définitive pour lui, l'œuvre c'était le badge avec ma signature. Mon interlocuteur se rendit compte qu'il avait en main une œuvre de moi, mais il en avait fait l'acquisition, non avec de l'argent mais à travers sa propre implication. Dernièrement j’étais invité à filmer un mariage marocain, cela m’a offert la possibilité de m'inscrire dans une vraie démarche relationnelle. Ce tournage a donné naissance tout d'abord à un film familial sur le mariage, puis à un documentaire et peut être aussi une installation. Ainsi j'aurais accompli un travail artistique tout en y intégrant les gens.
MCH: Est-ce qu'après cette sorte de co-production, ces mêmes gens viendront ensuite voir l'installation qui en dérive ?
MF: J’espère, puisqu’ils ont fait partie du processus de création, qu’ils seront intéressés aussi par la diffusion. C’est la où la question de la diffusion de l’œuvre trouve tout son sens par rapport à l’esthétique relationnelle. Il y a des moments où je suis vraiment scandalisé de voir certains artistes n’agir que dans le cadre d’un centre d’art ou d’une galerie, cela limite la diffusion de l’œuvre à un public averti, un public d’initiés. Souvent je n’entends parler de l’esthétique relationnelle qu’en évoquant la création de l’œuvre, mais jamais sa diffusion, comme si cette dernière est réservée au monde de l’art. C’est pourquoi, je continue à diffuser mon travail dans le circuit des ateliers des prisons. Voilà encore un public privé de ce que ce courant peut lui offrir.
MCH: En quel sens ce travail se raccordait-il avec ton œuvre picturale précédente lorsque tu vivais au Maroc ?
MF: En fait, tout cela découle de la peinture. De mon impossibilité même à trouver mon public, puisqu’en général au Maroc les galeries n'exposent que des peintres reconnus, politiquement corrects, capables de produire des œuvres très décoratives assorties avec le salon d'une certaine bourgeoisie. Pour moi, il ne s'agissait pas du tout de ça. Mon travail était avant tout dans l'atelier. En 1996, j'ai carrément commencé à effacer mes peintures, imprimant, sur les toiles recouvertes d'un épais glacis blanc, la phrase "Sans Témoin". Les peintures continuaient à exister, mais elles étaient voilées, comme ces femmes vulgairement maquillées, mais qu'un voile blanc cache.
MCH: Pour toi, cette opacité ou surdité était-ce une métaphore de l'état des institutions du Maroc dans leur rapport à l'art ?
MF: Exactement. Mais aussi par rapport à l’implication des gens, au fait du manque de "témoin" : l’absence de celui qui doit voir.
MCH: ...Et qui ne voit pas ?
MF: Oui, car la vraie censure au Maroc selon moi se produit dans le peu de moyens que l’état investit pour financer des institutions dans leur soutien à l'art, empêchant ainsi que les artistes s'expriment, qu'une vraie critique puisse se développer, que les regardeurs regardent, que tout ce processus fonctionne. Or, rien n'est fait en ce sens au Maroc. Ce qui aboutit à une paralysie de la critique. Les gens ont peur de se prononcer, donc ils ne peuvent témoigner. Après ma période d'effacement des toiles, a succédé un autre moment où je suis allé directement dans la rue chercher "mes témoins à moi". J'ai invité des gens à me rendre visite dans mon atelier pour devenir les uniques témoins de mon travail. J'enroulais les toiles peintes sous leurs yeux, hermétiquement et définitivement, puis je faisais leur portrait photographique. Cela a été vraiment la période la plus dure dans mon travail parce que je n'étais pas sûr du tout d’être compris.
MCH: En même temps, tu prenais acte d'une réalité du Maroc ; ce qui est déjà être vivant...
MF: Beaucoup de gens au Maroc ont trouvé mon travail radical. Cela n'était pas bien vu d'effacer ses propres peintures. Pour eux, c'était une destruction, un vrai suicide. Alors que mon propos était totalement autre. J’avais réussi à avoir un public, alors que le Maroc n'avait même pas une politique culturelle. Cela m'a mis en conflit avec certaines personnes qui ne voyaient dans mon travail que le côté provocateur et donc "occidental". En même temps, je rappelais l'histoire de l'art musulman, l'effacement des portraits dans les miniatures d’Al Wassiti ou d’Al Hariri ... Mais cela se rattachait aussi au plan politique à la disparition des personnes. Les prisonniers politiques, les étudiants vus dans les manifestations, les prisonniers d’opinions etc… La plupart des Marocains, jusqu'à la mort du roi Hassan II, ne pouvaient même pas parler des prisonniers politiques, ni témoigner de ce qui s'était passé. On n'avait absolument aucune information, un vrai "trou" dans notre mémoire collective. Cela m'a amené ensuite au projet intitulé "Accessible" par lequel je me suis intéressé à ce que j'appelle "la place qui est à côté de moi". On a en effet toujours quelqu'un à côté de soi, d’abord pour nous accompagner, pour nous surveiller, pour nous protéger. Lorsqu'on grandit, on a un copain, plus tard on prend le train ou l'avion, mais il y a toujours quelqu'un à côté de soi. Pour moi il était donc devenu évident que chaque personne qui se trouverait à côté de moi serait mon public. La plupart des gens que j'ai rencontrés en voyage ont eu connaissance de mon travail artistique.
MCH: Ce roman policier dont tu as fait une sorte de journal de bord dessiné et de livre d'artiste où le texte original sert de fond à des images abstraites ou symboliques articulées comme une bande dessinée... ?
MF: Oui, ce travail impliquait une manière d'aborder les gens, de nouer une relation. D’ailleurs tout commence lorsqu'on me demande "Que faites-vous dans la vie ? ". Les gens pensent encore que les artistes ne travaillent que dans leurs ateliers. Souvent ils trouvent ça amusant, parler avec un artiste ou faire partie d’une œuvre. J'avais commencé ce travail dans des gares ou dans des files d'attente. Mais c'était très difficile de les aborder comme ça, parce que je suis un peu timide. J'ai compris par la suite que lorsqu'on était assis, un tout autre rapport s'instaurait. C'est comme ça que je me suis décidé à prendre le train (rires) ! Le trajet m'assurait deux à trois heures pour m'expliquer, pour nouer une relation. Il m'est même arrivé de faire le trajet Casablanca-Rabat, ou Rabat-Tanger, rien que pour trouver un témoin et lui montrer mon travail.
MCH: Mais ce problème se pose aussi en France, par exemple, où l'on se demande qui reçoit et qui comprend l'art contemporain... Est-ce que tu essayais aussi de prouver aux gens qu'ils pourraient avoir une conscience et un regard critique vis-à-vis de l'art ?
MF: Le plus important pour moi, c'était d'abord que l'œuvre leur soit accessible. Qu'ils la comprennent plus ou moins, je ne porte aucun jugement sur cela. Ils ont pris ce qu'ils ont pu prendre, peut-être se sont-ils dit au fond, que j'étais un pauvre type, et ils ont veillé à être gentils avec moi. Je ne sais pas ce qu'ils peuvent avoir pensé en fait. Mais ce qui m'intéresse le plus c’est que l'œuvre leur ait été accessible par sa présence, par sa proximité.
MCH: C'était donc une question de survie artistique.
MF: Je pense que je n’aurais jamais pu survivre artistiquement, si je n’avais pas déclaré ma mort symbolique déjà en 1993, dans une interview au journal marocain "L’opinion". Cela m’a libéré, et m’a permis de faire une peinture plus ou moins détachée de la tradition picturale marocaine très influencée par le passage des artistes comme Delacroix, Matisse et d’autres. Ce qui m’intéressait le plus c’était ce que je ne pouvais pas montrer dans mon travail, ce que je cachais inconsciemment, je parle de l’autocensure.
MCH: Mais aujourd'hui tu vis en France, qu'est-ce qui a changé pour toi, comment le problème s'est-il déplacé ?
MF: Je continue toujours à dire que les choses sont de nature difficile. Faire une peinture, réaliser une vidéo ou écrire un livre c’est presque impossible pour moi. Au Maroc mes problèmes étaient devenus des solutions à partir du moment où j'avais pris la décision de rencontrer mon public. Les témoins de mes effacements sont devenus complices. Nous étions au cœur de la relation à la chose cachée, à la chose vue. Mais nous n'étions pas cachés nous mêmes, ni cachés à nous mêmes. Par la photographie, l'action avait quelque chose de transparent, d'affirmé. En France, ou en Europe les difficultés sont dans ce qu’on attend de moi en tant qu’artiste marocain ou arabe. En général j’ai l’impression qu’il y a une commande un peu cachée et que l’on attend encore d’un artiste marocain de vendre des tapis dans une biennale ou de servir du couscous. Il faut être conscient de cela, pouvoir jouer de la commande, tu sais, l’art et la commande c’est une vieille histoire.
MCH: Il y a aussi des images cachées lorsque tu fais des arabesques avec des câbles de télévision que tu as montrés dans l'exposition "L'Objet désorienté" en 1999 au Musée des Arts décoratifs à Paris...
MF: J’avais déjà réalisé une vidéo en hommage à Jackson Pollock sous le titre d’Arabesque en 1997. L’arabesque est une des belles rencontres entre l’art américain et l’art musulman, à travers l’horreur du vide, le all over. Il y a toujours des images cachées si on regarde attentivement l’art musulman, qu’il s’agisse de calligraphie, d’architecture ou d’ornementation. J’aime beaucoup la limite que représente l’image de Dieu. Le fait que Dieu a 99 noms et aucune image, je cherche toujours à me rapprocher de cette image qui n’existe dans aucune imagination.
MCH: Quels sont ces noms de Dieu énoncés dans le Coran ?
MF: Il s'agit de quatre-vingt-dix-neuf noms, comme le Miséricordieux, le Tout-Puissant, le Premier, le Dernier, le Seul, l'Unique, le Clément… Je les avais utilisés plusieurs fois dans mes installations. À la biennale de Dakar, je les ai écrits et mis dans des badges collés directement sur le mur. Le jour du vernissage, j’étais vraiment ému de voir les gens les toucher et les embrasser. Grâce à l’aspect religieux de ces noms, l’installation est devenue interactive.
MCH: Pour revenir au danger de disparition de l'œuvre, tu as montré dans une de tes vidéos que la parole et l'œuvre sont avant tout d'ordre social. Tu rapportes cette expérience d'un roi allemand, je crois, qui avait fait isoler des nouveaux nés et les a privés de tout contact vocal avec autrui. À la fin, tous les nouveaux nés sont morts. Le social par la voix, par la parole, était primordial, même chez des bébés qui ne parlaient pas encore, de même, une œuvre, qui ne trouve pas son environnement social, meurt. Est-ce que la vidéo "Qui sont les autres ?" ne serait pas une passerelle où le mot "autre" fait obstacle comme produit d'une représentation, je pense à l'expérience du Val Fourré où tu parles de leur non représentation, il y a là aussi un certain risque de disparition sociale. La question d'être ou de ne pas être, d'exister ou de ne pas exister pour la communauté marocaine. Un peu comme ces jeunes clandestins qui étaient soit "héros" soit "zéros"...
MF: Plus que toute forme de technologie de communication actuelle ou future, je pense qu’il y a des questions qui fonctionnent vraiment comme moyen de communication avec les autres, et cela n’importe où, au Maroc en France ou ailleurs. Par exemple : La question "est ce que vous avez l’heure ? " ou "est ce que vous avez une cigarette ? " ou "avez-vous du feu ? avec ses trois questions, on peut avoir un premier contact avec n’importe qui dans la rue. C’est vrai que la question : qui sont les autres ? dans la vidéo "les autres c’est les autres" fait obstacle, parce que le mot "autre" fait peur, puisqu’on ne l’associe jamais à soi-même. Ma situation d’immigré me permet cela, d’ailleurs je me suis toujours intéressé à cette situation d’être toujours "entre" deux cultures, deux langues, deux mondes. Mais je pense que la vraie question actuellement est celle d'être dans l'image ou de ne pas y être, d’avoir la possibilité de voir ou de ne pas voir, de recevoir des images ou d'avoir la possibilité d'en diffuser.
MCH: Quand le récepteur devient aussi l'émetteur ?
MF: Exactement, montrer mon travail.
MCH: Les expérimentations autour des télévisions locales t'intéressent-elles ?
MF: Je présente mon travail dans les télévisions internes des prisons, comme la Santé, à Paris, les Baumettes à Marseille, la maison d’arrêt de Metz, j’aimerais aussi utiliser les hôpitaux, les bus. Pour moi, il est toujours important, de pouvoir diffuser mon travail. Mais actuellement je ne veux pas que Ovalprojet devienne une "télévision locale" ni que cela ressemble à un petit club qui fait des images pour lui-même. Ce qui me paraît plus intéressant c’est d'essayer de pénétrer les chaînes de télévisions internationales en proposant des réalisations en fonction de la communauté fidélisée par ses chaînes. Car le problème de créer une télévision locale risque à la longue de devenir stérile. Il faut au contraire ouvrir le local sur le monde, et utiliser ce lien qui existe entre un pays et ses migrants, et vice-versa. Je pense qu'au Maroc comme ailleurs on parle de la globalisation qui devrait être plutôt la disparition des états au profit d'une mondialisation économique ou "administrée", une surenchère néolibérale du capitalisme et donc de nouveau productrice d'exclusion. À travers ton travail où tu vas chercher des situations comme celles du Val Fourré, difficiles et très marquées je me demande si l'importance de ce qui est local, régional, c'est aussi la "place d'à côté" ou "la personne d'à côté" et si elle ne serait pas ce "reste" qui résiste, au fond, ce quelque chose qui résiste, qui serait là : à côté. J’aime bien cette réflexion sur le "reste qui résiste" c’est qu’en vérité il y a le monde, et il y a le reste. J’ai toujours fait partie du reste, en tant qu’arabe, africain, musulman et tiers-mondiste. Après avoir posé la question de l’embargo, dans la vidéo Survival signs. En 1998, j’ai reçu un texte critique de mon ami Marc Mercier qui résume bien cette situation : "N’ayons rien de ce que nous pouvons avoir, soyons tout ce que nous pouvons être", ou bien, "L’économie marchande est cannibale, devenons indigestes". Depuis que je me suis installé à Mantes la Jolie, j'ai filmé deux fois les destructions des HLM, des grandes tours. Et je trouve cela très dangereux parce qu’on a le projet de les détruire complètement, j’ai peur qu’un jour on me dise que "ça n'a jamais existé". Je crois que des lieux comme le Val fourré sont des lieux qui conservent beaucoup de choses et les gens nous l'ont déjà montré, même paradoxalement. Les familles marocaines de Mantes la Jolie conservent les traditions des années 60-70 que le Maroc a commencé à oublier.
MCH: Quant à la question du statut de l'artiste, un concept remontant au XIXe siècle, européen, issu d'une tradition romantique, individualiste, critique et dont, après la décolonisation, les artistes arabes se sont inspirés. Étant donné l'histoire politique et les structures sociales très différentes du monde arabe actuel, où la religion fut traditionnellement soudée à l'art arabo-musulman, comment le statut de l'artiste arabe - en tant qu'individualité - se fraie un chemin aujourd'hui, et avec quels résidus ou permanences du passé doit-il négocier ?
MF: C'est vrai que le mot "artiste" renvoie à un concept occidental. Dans le monde ante islamique, l’artiste était le "poète", lié bien sûr à la tradition orale, puis littéraire. Chaque tribu avait son poète. Le poète abordait tous les sujets, c'était en même temps un critique. Je pense qu’aujourd’hui l’artiste arabe a perdu l’usage de la critique, en fait il souffre plus que jamais, dans une situation, de manque de liberté d’expression dans son pays et d’une injustice dont il pâtit à l’extérieur. Mêmes ceux qui ont réussi à être acceptés en Europe ou aux États-Unis se voient sanctionnés à cause de n’importe quelle crise politique, en Palestine, en Irak ou en Afghanistan. À mes yeux, l’artiste arabe reste toujours lié à cette tradition de poètes, qui racontent, et qui se déplacent.
MCH: Comme le conteur ?
MF: Oui, le conteur c'est le messager qui "porte le verbe". Lorsqu'on voulait envoyer le message, le poète était le médium. Il était le message lui-même. C'était lui qui prononçait le texte. Il y avait une tradition de poètes que l'on appelait les "fous" et qui écrivaient des poèmes sur leurs propres habits et se déplaçaient d'un village à l'autre. C'est vraiment du texte sur leur corps qu'ils déclamaient
|
|
Michèle Cohen Hadria : You preferrred that we do an interview rather than an article to talk about your work related to the exhibition, and not only your work for the exhibit, but also your work in the neighborhood of Val Fourré in Mantes in Paris. Your work stretches between two poles : one being the free classes you offer people in this reputedly "bad" suburb and that of your personal artistic creation nourished by these relationships.
mounir fatmi : Yes, because a written text seemed less appropriate for the context we're going to talk about. My idea was for this catalogue not to be limited to the exhibit, nor exclusively reserved for an artistic milieu, but intended for the people of the Val Fourré neighborhood, to better explain my intentions, because they are the ones I worked with, and many of them often asked what I was doing here. The work I undertook with them relates to all of my video experimentation from 1999 to 2002, from the video "The others, it's the others" to Ovalproject. I want them to understand the reasons I came to their neighborhood and hope this interview can answer some of the often–asked questions like, "Why is the name of our neighborhood the name of your project ? ", "Isn't this just another form of cultural appropriation ?", "What are you doing in our neighborhood, anyway ? "...
MCH: You say they ask you what you are doing and why. Does that mean that while you you yourself are exploring questions of "otherness", they perceive you as "other"? It makes me want to ask you what your relationship is to the people living there and who they are.
MF:They are the residents of the Val Fourré neighborhood, most of them very aware of what I'm doing, whether it be my habit of buying the newspaper, or my comings and goings at the Chaplin Cultural Center, or my conversations with the hairdresser. In short, I'm completely immersed in the neighborhood, and my choice to live there, to rent an apartment there, all converge and generate a lot of questions about my presence. For me, it's a place I can really work from, I don't pretend to have solutions to their problems, there was no way I was going to talk about the suburbs without having lived there. Besides, it all starts when someone asks the question : What do you do... ? A sentence like that seems pretty trivial, but it becomes the driving force behind my work.
MCH: How do you answer them ?
MF: If I say, "well, I'm an artist", that immediately creates a gap. Even if I say I'm a photographer (thinking this might make things easier), then people think of wedding photographers, which is what led me to film my first Moroccan marriage in the neighborhood last week. This video will be an installation project and a film to preserve family memories, because here, photography and video are synonymous with marriage, with celebrations. I'm making this film according to what the people wanted, and then I'll negociate the use of certain images for my own work. I never say the word artist. In the end, it's a bit like in the contemporary art world, it's pejorative to say "I'm an artist".
MCH: Is there any distinction between your work in the Val Fourré neighborhood and your work as an artist in your own right, between the work you do within and for the community and the resulting artwork ?
MF: In fact, it blends together. There isn't really a dividing line and I do everything I can to prevent that from happening. People here face a real image problem in relation to their city. As you know, it's a suburb which is often criticized, categorized by the media as "violent, dangerous, volatile", etc. This creates a real image problem. Some people even lie about their address when looking for work, go so far as to write a different address than their own, since they are immediately stigmatized as being "hooligans", "uncivilized". So, people are fed up and want to control the way they are represented. Also, as soon as they see you with a camera, they stop you and ask : "What TV station is it for ?" At the same time, the pictures they get from their home countries via satellite don't really fit either. So, they don't have any representations of themselves.
MCH: They have to deal with a barrage of images on one hand – they are depicted as "too violent", "asocial", "not well-adapted to French society", but at the same time suffer from a lack of representation on television in their home countries.
MF: Exactly. In fact, I think the immigrant has no image per se. Neither the the French media's perception, nor their native countries offer accurate pictures.
MCH: I heard a story in a similar vein that I think will interest you. It's part of the work done by Jean-François Chevrier at the fine arts school in Paris, a seminar which was done concurrently with an exhibit called Territories for several months. An experience which like your own, is somewhere between social sciences and artistic research. It's a story by the Moroccan artist, Yto Barrada, who, along with a friend, organized a pictorial series for a center for clandestin Moroccan children in Tangiers and Marseille. These children were too young to be sent back to Morrocco and were therefore staying in a place called the Center for Errant Children. After having done drawings and photographs whose theme was self-representation and the children's passing from one side of the Mediterranean to the other, these two artists asked the children why the center was called what it was and many said they hadn't paid attention to the name. They had in fact mistaken the name of the center as Center for "Hero" Children or The Center for "Zero" Children. In this way, their self-representation vascillated between being someone important and being totally insignificant. I think it's the same problem for people in Val Fourré who are either perceived as marginalized, delinquants, etc. or who try to make something of themselves... In terms of your own project, how will the satellite dishes between France and Morocco work in their favor ?
MF:When I filmed the video, "The others, it's the others", in 1999, the editing and post-production work were done at the Chaplin Cultural Center. Due to my lack of resources, the director offered me lodging with a Moroccan family in Val Fourré. I gladly accepted. During my stay, we often watched Moroccan television. I quickly understood that this community had ties with their own country and used television to keep their children in contact with its language, culture, religion and traditions. What I found amusing, was that inversely, when I lived in Morocco, I used a satellite dish to watch foreign television. It was the only way to stay informed about what was going on in the country, because within the country, news was inaccessible. The satellite dish played a role in the transmission of knowledge as information came full circle. So, you have to broadcast in Morocco to be seen here. The idea for "Ovalproject" was born. Then, in 2001, I met the documentary film-maker, Laurent Huet, who expressed interest in the project and became a real ally.
MCH: Just a brief digression : when you were living in Morocco, were Moroccans represented on television and how so ?
MF: No ! Moroccan television doesn't represent anyone, it's a real tool for brainwashing. Like most of the world's television. My idea is to come up with a system of images that circulates, that makes a full circle, images intended for immigrants within Europe or elsewhere who can get programs from their own countries with the use of satellite dishes. In fact, in Morocco, we know nothing about those who immigrate, we just think of them as privileged people who are never satisfied. I'm the first to admit, when I lived in Morocco, I thought that in France, people lacked nothing.
MCH: Will your project be presented in a television program in Morocco ?
MF: The real experimental aspect of Ovalproject is related to broadcasting. We will film material with international broadcasting in mind, whether Moroccan, Senegalese or Turkish. You know, the media come to Mantes la Jolie periodically. One of our projects is to train a film crew capable of following the media and filming them. It would mean making a film about the media filming Val Fourré. The challenge of the work is the problem of televising. It goes back to what I did in Morocco with my painting before, which I erased in front of "witnesses", because when faced with the question of erasure or denial, in whatever context it may be, it's important to be present, to be a "witness", and to see things through. After that, the emphasis will be on follow-up work and broadcasting.
MCH: What's shown on television will be an "artist's work", and also a collective documentary work.
MF: I don't think it's enough to think about television without thinking about broadcasting. There's nothing worse than pictures left in a drawer. Ovalproject will create different types of things, from documentaries to fictional works to video clips. I would also like to work with archival images, and use this material as if it were modelling clay. Images have to be called into question and challenged, pitted against each other.
MCH: So for you, an image is like a raw material ?
MF: It's paint (laughter). Paint that hasn't been used yet, that hasn't been squeezed out of the tube. Since I bought my camera in 1999, I haven't stopped shooting images, in Morocco, in France, in the U.S., but they'll only become "my" images when I edit them. For me, pictures are not what we film, but what we decide to share with others. A picture is a raw material, text is, too, I can't read without a pen. I underline, I draw, I scribble, I scratch out, I even erase certain passages if I don't agree with the author. I think it's possible to have an interactive experience with a book.
MCH: Is it because in this way, you can really make it your own ?
MF: Indeed, I can relate to a book in a way I can't with a television screen. I'd love to be able to watch television and stop the images, scribble, underline them, say "no" to them, scratch them out. Television doesn't lend itself to this because a TV image is inaccessible, made to be passively consumed.
MCH: Is this what you do when you transform police stories into something artistic ?
MF: Yes, I get totally involved, with no limits. I make illustrations on the text, I darken them, I join them, I seperate them, transform them. And even when I draw something, I often scratch out my own sketches, it's a very malleable type of work. If a book weren't something that closed in on itself it could offer a lasting reflection.
MCH: For Ovalproject, will you also use these hybrid
models ?
MF: Ovalproject seeks to ask questions capable of generating images. It's not enough to simply use cameras, we really have to question the "image of the immigrant" as well as the "migrant image" using different mediums and techniques in order to create them. I'd like to work with the older members of the community in this "modelling clay fashion" to try to do some footage, and then try to broadcast it in foreign programs. These representations may seem to have discrepencies, but the existence of these gaps isn't a problem. It's actually one of the most important things about this work and should be taken into condsideration.
MCH: Will it be a type of "political modelling clay" ?
MF: ...Political or social modelling clay, the idea is to free up images, to get people to realize that they are part of a process in which they create their own image. To also fight for the right to broadcast them. And that's the biggest problem. There are hundreds of films sitting in drawers in private archives. Home movies and Super 8s are sometimes dug up by artists who save them from being forgotten and do something with them. These type of images don't get shown on TV because television's only objectives are commercial.
MCH: But aren't you afraid of having to fight against this kind of denial? And in this case, wouldn't it be better to film the denial itself ?
MF: In such a case, failure is a possible consequence and one has to accept it. With the advent of the media revolution, cameras became more accessible and editing simpler thanks to computers, I think it's time to look seriously at broadcasting. I'd like to see people pursue this line of questioning. It means going head to head with television as an institution.
MCH: If you were to film that, it would be doubly difficult to show ...but at least the obstacle would be a tangible one...
MF: Yes, it would be completely real. And that's what I appreciate in terms of its difficulty. Creating an image is always difficult, as is showing it. An image always implies some sort of work behind the scenes. There's always some hidden work which precedes the final image, even if one never sees exactly what it is...
MCH: If it's as difficult as you say, how come you don't discourage them ?
MF: What I want is for them to be aware of the difficulty, whether it's about creating or broadcasting images. No one is obliged to create something or to display his life on TV. People can come to our workshops and leave without necessarily having produced anything. That's not what's most important. Even if you're unsuccessful, you learn something. The difficulty of the project can actually be motivating.
MCH: Through the creation of a project like "modelling clay", do you think you'll be able to evercome the hidden element of image production you mentioned earlier ?
MF: The goal is to create and broadcast images, to be a part of this loop that connects the satellite dish to television in the native land. Once again, it's a means of getting the images out of the drawers : whether it's modelling clay, collages, fictional works, video clips about hip-hop, documentaries on a Moroccan marriage or car fires. One day, someone needs to look at this phenomenon of car fires in Val Fourré or elsewhere, keeping in mind that the first generation of North African immigrants came to France to work in the mines and to assemble automobile parts and that the new generation burns them up and takes them apart. There are so many questions like these that need to be asked. There are conflicts among generations, problems with "foreigners". That's another ironic misnomer, because, in the outskirts of Paris, the French are the "foreigners". There are unexpected reversals. Like in the video, "The others, it's the others", an African was convinced when he said, : "Foreigners ? There are no foreigners" while the French people interviewed said, "There's nothing but foreigners".
MCH: Since French people are foreigners to the residents of Val Fourré and their native country remains their country, what does a place like Mantes la Jolie represent... a kind of borderland ?
MF: I would say something like a train station, an airport, a waiting room. Most of them have only one dream, "to get out", being here means failure, nobody ends up here, not if they've been successful elsewhere. The situation reminds me a lot of the young Moroccans we call "harraga" which means "burners", they all dream of leaving. I get the impression that Mantes la Jolie is a place where people are waiting to move on to something better.
MCH: Dreaming of a better place ?
MF: It's not a city.
MCH: But do they also think of this place in terms of having plans for something better ?
MF: No, but I'd like to get them to realize that part of the difficulty we face comes from the fact that we're not in a real city. The idea of a work in progress encourages people to build something in the present.
MCH: You mean, even architecturally.
MF: The term, "Val Fourré" (Filled Valley) says it all. It's horrible to see how architecture crushes people's spirits and puts them in boxes. When you approach the parking lots, you can see the remains of burned cars, glass and debris around every telephone booth, every bus stop. It's not what you'd call a place where you can live.
MCH: If they say that French people are foreigners there, doesn't that mean that for the people of Val Fourré it's "their territory", and in a way, it's a place marked by their suffering ?
MF: Yes, but the surprising thing is, French people who live here are often from the most underprivileged classes and are also "foreigners" in relation to the French who live in the center of Mantes la Jolie, or in Paris. The foreigner in this case is the person who has failed somehow, is on welfare, is marginalized, isn't integrated socially. You can also be an outsider in that way !
MCH: But when young people set cars on fire, are they conscious of what they are expressing ? It makes me think about a situation that interested me, when José Bové blew up a MacDonalds. It seemed almost like an artistic performance to me.. a political and ethical move, but certainly José Bové knew that it was a symbolic act.
MF: Yes, but the difference is that José Bové makes the headlines, he knows the media. These young people don't. José Bové manages his image well, he knows how to put on a show. On the other hand, these young people aren't one person, but a group. So, there's no one to take responsibility when they "lose it". I interpret setting cars on fire as a means of communicating and it makes me think of the Native American metaphor. Among Indians, smoke signals meant there was a message. When I see smoke rising up in the sky in Mantes ls Jolie, I say to myself, "There are people suffering". It's extraordinary that we live in a world with such sophisticated communication, internet, portable phones, etc. and we still send messages with smoke and fire and people have to burn cars in order to say, "There's something really wrong with the system".
MCH: To set a car on fire and say to yourself, "there, I did something" is one thing. It's perhaps quite another to see a film of this event, to look at it closely with someone, to become aware of what you are trying to express. Maybe at that point, it could have a therapeutic effect.
MF: I'm not a therapist and images can't function like medecine to heal deep wounds. In fact, I noticed that there is a real relationship between the fires, the cameras and the cars. These youths are fully aware that setting fire to cars will get media attention. Sometimes, the cars are set on fire only when cameras are present, and the media is almost complicit in the act. That reminds me of the war in Afghanistan where journalists pay soldiers from the northern alliance to shoot a few rounds, maybe do more. I call these fires "collective works". I'm not defending setting fires. My work is to get people to ask questions.
MCH: Will the things you film in the context of Ovalproject be shown with your works ?
MF: Ovalproject is a collective experience that allows me to work with people and not on them. It's an important period in my work where I'm asking myself a lot of questions, about what I'm taking and what I'm able to give. Everything I create in this context enriches my life and my work. From the first three months here, I was struck by the absence of a film studio in the neighborhood. To buy film, you have to go to the center of Mantes la Jolie. I get the impression that in Val Fourré, we have no access to images, although there are 96 nationalities here, all with their celebrations, traditions and customs. I hope I can contribute somehow and do something that is more than superficial.
MCH: What nationalities are there ?
MF: There are Moroccans, Senegalese, Yugoslavians, Kurds, Turks...In other words, a microcosm of the world ! The project called "free exchange", which I started in 1999 and which entails displacing identities around the world, through the exchange of buttons and names among spectators, is relevent now more than ever in Val Fourré.
MCH: When you think about the ultimate goal of your project, the point in time when you are able to recreate the Moroccan living rooms of their homes or what they've seen in friends' homes and a typical balcony from a housing project through which you offer an inside-outside perspective and you also broadcast TV images from their respective countries... People are going to (re) view images they are used to seeing on television. While seeing these images on the big screen, this different format is going to create distance, a step back from what they're familiar with, what they are used to seeing at home. But where is the (art)work in all this ?
MF: I don't want to ask, "where is the (art)work ?" That's the whole problem with relational esthetics, this continual desire to define art's place. It's like waking up one morning and asking myself, "Where is life ?" Life isn't in a tree or in a bus... it's everywhere. I would say to myself, "I don't know where life is, so I'm not getting up at all !" (laughter) When I showed the sculpture "Comas" at the Actua foundation in Casablanca, a confused spectator questioned me, saying : "But sir, I don't see your work, where is it ? " I offered him my button with my first and last name in exchange for his ; then, I took a photo to record it. For him, the work was the button with my signature. He realized that he had a piece of my work, but he had acquired it through his own initiative, not through money. Recently, I was asked to film a Moroccan wedding, which allowed me to establish a relationship. The immediate result of filming was a home movie of a marriage and then a documentary and perhaps an installation later. In this way, I was able to complete an artistic project while integrating other people.
MCH: After being involved in this sort of co-production, will these same people come and see the resulting installation ?
MF: I hope that since they were part of the creative process, they will also be interested in its being shown. This is an example of how projecting the work becomes meaningful in terms of a relational esthetics. There are times when I am really shocked to see certain artists who only show work within the context of art centers and galleries, which limits the work to an audience who is already aware and has already been exposed to this type of work. I often only hear people mention relational esthetics in terms of creating work, but never at the point when it is shown, as if this is reserved exclusively for the art world. That's why I continue to show my work in prison workshops. An example of another audience deprived of the benefit of artistic movements.
MCH: How does this work relate to your earlier pictorial works from the time you lived in Morocco ?
MF: In fact, it all comes out of my experiences with painting. Because I found it nearly impossible to find an audience for my work, because in general in Morocco, galleries only show works by famous artists, who are politically correct and capable of producing works to match the living rooms of a certain class of the bourgeoisie. For me, it wasn't about all that. My work was first and foremost in the studio. In 1996, I actually started to erase my work, printing the words "No Witnesses" over canvasses covered with a thick white glaze. The paintings continued to exist, but they were veiled, like the women with their crude make-up, hidden by a white veil.
MCH: For you, this opacity, or deafness was a metaphor for the state of Moroccan institutions and their relationship to art ?
MF: Exactly. But also related to people's own investment, this lack of "witnesses", an absence of those who should see.
MCH: And who don't see ?
MF: Yes, because the real censorship in Morocco comes from the lack of state funding for institutions that support art, which in turn prevents artists from expressing themselves, and prohibits any real criticism from occuring, to allow spectators to see the work and the whole process to happen. Nothing is done in this way in Morocco. Which leads to critical paralysis. People are afraid to speak out, so they cannot bear witness. The period when I started to erase my canvasses was immediately followed by a time when I started to seek out "witnesses" of my own. I invited people to visit me in my studio in order to be the sole witnesses of my work. I would roll up a painted canvas beneath their eyes, hermetically and definitively seal it and then take their photo portrait. It was one of the most difficult periods for me in my work because I wasn't sure people understood what I was doing..
MCH: At the same time, you were acknowledging a real issue in Morocco, which implies a certain awareness and vitality...
MF: A lot of people in Morocco thought my work was radical. To erase one's own paintings was looked down upon. For them, it was destructive, like suicide. But my intention was something completely different. I had found a way to have an audience, even though Morocco didn't have a cultural policy. It created conflicts with certain people who only saw the shocking aspect of my work, and thus labelled it as too "Western". At the same time, it was reminiscent of Muslim art, the erasure of the miniature portraits of al Wassiti or Al Hariri...but reflected the modern political reality of people "disappearing". Political prisoners, students seen at protests, prisoners of conscience, etc... Most Moroccans weren't even able to talk about political prisoners or testify as to what happened until after the death of Hassan II. We had no access to information, there was a "hole" in our collective memory. That led me to a project called, "Accessible" through which I became interested in what I call "the space next to me" In reality, we always have someone next to us, first to guide us, to look out for us, to protect us. As we grow up, we have friends, later, we take a train or a plane, there's always someone next to us. At some point, it became obvious that each person sitting next to me would be my audience. Most of the people I've met while travelling are aware of my work as an artist.
MCH: This police story which you turned into a sort of log book where the original text serves as the background for abstract pictures and symbols joined together like a comic book... ?
MF: Yes, that work was a means to approach people, to establish a relationship. Everything starts when someone asks the question, "What do you do... ?" People still think that artists only work in the studio. They often find it amusing to talk to an artist or to be part of the artistic process. I started this work in train stations, or waiting in lines. But it was difficult to approach people in that way, because I'm a little shy. I understood later on that if we were sitting down, the relationship took on a different dimension. That's when I decided to start taking the train (laughter) ! A trip guaranteed me two or three hours to establish some kind of connection. I even took the train from Casablanca to Rabat or Rabat to Tangiers just so I could find a witness and show him my work.
MCH: But the same problem exists in France, for example, we are still asking the question of who has access to and who understands modern art... Are you trying to prove to people that they can have a conscience and a critical perspective in relation to art ?
MF: The most important thing for me is that the work be accessible. Whether people understand it or not isn't something I judge. They got what they could get out of it, perhaps they said to themselves, "poor guy" and they tried to humor me. I don't know what they might have thought. What interests me most is that the work be accessible, in the fact that it exists, in its proximity. It was a question of artistic survival. I don't think I would have survived artistically if I hadn't declared my "death" as an artist symbolically in an interview with a Moroccan newspaper in 1993. It freed me and enabled me to start painting in a way that was more or less detached from the Moroccan pictorial tradition that had been influenced by artists like Delacroix, Matisse and others. What interested me most was what I couldn't show in my work, that which I had been unconsciously hiding, ways I had been censuring myself.
MCH: But now that you live in France, what has changed for you, how has the problem shifted ?
MF: Things are still difficult. To make a painting, do a video or write a book is almost impossible for me. In Morocco, my problems became solutions from the moment I decided to go out and meet my audience. The people who witnessed my erasures became my accomplices. We were at the heart of the thing which was hidden, the thing that had been seen. But we didn't hide from each other, nor did we hide from ourselves. Through the use of photography, there was something transparent and affirming in the act. In France, or elsewhere in Europe, the difficulty relates to peoples' perceptions of me as a Moroccan or Arabic artist. There are hidden stereotypes at work, people are still expecting a Moroccan artist to sell rugs or to serve couscous. You have to be conscious of that, to play with these expectations, disrupt them, the question of art and self-determination has always been an issue.
MCH: There are also hidden images when you do arabesques (sinuous, irregular designs) with television cables in the exhibit, "The Disoriented Object", which you showed at the museum of decorative arts in Paris in 1999.
MF: I had already done a video to pay homage to Jackson Pollock, entitled Arabesque, in 1997. The arabesque is one of the beautiful encounters between American and Muslim art, a fear of emptiness, the desire to be all over.
If you look closely at Muslim art, there are always hidden images, whether in calligraphy, architecture or ornamentation. I like the limitations inherent in representations of God, the fact that God has 99 names and no set image, I am always trying to get closer to this image, one that doesn't exist in anyone's imagination.
MCH: What are the names of God cited in the Koran ?
MF: There arec 99 names, names like the Merciful, the All-Powerful, the First, the Last, the Only, the Unique, the Lenient... I've used them many times in my installations. At the biennial art event in Dakar, I wrote them down and put them on buttons glued directly to the wall. At the opening, I was really moved seeing people touching them and kissing them. Due to the religious nature of these names, the exhibit became something interactive.
MCH: To come back to the danger of work disappearing mentioned earlier, in one of your videos, you showed how speech and artwork are above all social in nature. You told the story of a German king, I think, who isolated newborns and deprived them of all verbal contact with others. In the end, they all died. Social interaction through the voice, through words, was primordial, even for babies who weren't yet able to speak, and in the same way, a work of art that cannot find its place socially, dies as well. Couldn't the video "Who are the others ? " be seen as a kind of bridge where the word "other" creates an obstacle because it's a product of representation, I think about Val Fourré when you were talking about their non-representation, there's also the risk of disappearing socially. The question to be or not to be, to exist or not, for the Moroccan community. A little bit like those clandestin children who were either "heros" or "zeros".
MF: More than any technological form of communication, past or future, I think there are questions that really serve as a means of communication with others, whether in Morocco or France or elsewhere. For example : The question "do you know what time it is ? ", "do you have a cigarette ? ", "do you have a light ? " with these three questions, you can establish contact with anyone in the street. It's true that the question : who are the others ? in the video "the others, it's the others" creates a barrier because the idea of otherness scares people, because most people never associate it with themselves. Being an immigrant allows me to do this. What's more, I've always been interested in this position "between" two cultures, two languages, two worlds. But I think that the real question is how to be a part of the picture without being confined by it, to have the option of seeing or not seeing, to access images and to be able to share them.
MCH: When the receiver is also the transmitter ?
MF: Right.
MCH: Are you interested in experimentation with local television ?
MF: I show my work on prison television stations, like the Santé in Paris, les Baumettes in Marseille and the prison in Metz, I'd also like to use hospitals, buses. For me, it's always important to broadcast my work. But I don't want Ovalproject to become like a local access program or like some little club that makes films just for its members. What's more appealing to me is is to try to get into international TV channels by proposing films based on the communities who regularly watch these channels. In creating a local channel you run the risk of becoming sterile in the long run. The local needs to be opened up to the world, and the link that exists between a country and its migrants needs to be developed and vice-versa.
MCH: In Morocco and elsewhere we talk about globalisation as being the disappearance of states in favor a globally "administered" economic policy, a neoliberal build-up of capitalism which excludes people more and more. In your work, you have sought out very tough contexts like Val Fourré and I'm wondering if the importance of what is local, regional, is also the "space next to me" or "the person sitting next to me" and if it isn't the "remainder" who makes the difference, this place of resistance is there : next to us.
MF: I like this idea of "those who remain and resist" because in reality there's the world and there's what's left over. I've always been part of what's left over, as an arab, african, muslim, from the third world. After addressing the question of the embargo in the video, Survival signs, in 1998, I received a critique from my friend Marc Mercier who summed up the situation in this way : "Though we have nothing of what we could have, let's be everything we can be, or rather, (since) the market economy is cannibalistic, let's make ourselves impossible to digest." Since I moved to Mantes la Jolie, I've filmed two housing blocks being torn down, big towers. And I think it's dangerous to want to tear them down completely, I'm afraid one day people will say they never existed. I think that places like Val Fourré are places that preserve a lot of things and people have already shown this to be true, however paradoxically. Moroccan families in Mantes la Jolie conserve traditions from the 60s and 70s that Morocco has started to forget.
MCH: As to the question of an artist's role, it was a European concept going back to the 19th century, one that came out of a romantic tradition, individualistic and critical and therefore, after decolonization, Arab artists drew inspiration from it. In view of the political history and highly varied social structures in the Arab world today, where religion has traditionally been bound up with Arab-Muslim art, how can the individual Arab artist carve out a space for himself and what are the remnants of the past he must navigate in order to do so ?
MF: It's true that the term "artist" brings to mind a Western concept. In the pre-Islamic world, the artist was the "poet", linked to an oral tradition, and then a literary one. Each tribe had its own poet. The poet dealt with all subjects, and was also a critic. I think that today Arab artists have lost this use of criticism and in fact suffer more than ever from a lack of free speech in their own countries and are subject to injustice elsewhere in the world. Even those who are able to be accepted in Europe or in the U.S. are subject to sanctions because of political crises in Palestine, Iraq, or Afghanistan. In my mind, the Arab artist will always be connected to this poetic traition, poets who tell stories and wander the globe.
MCH: Like the storyteller ?
MF: Yes, the storyteller is the messenger who is the bearer of language When a message needed to be sent, the poet was the medium. He was the message itself. He was the one who pronounced the words. There is a tradition of poets called "madmen", who wrote poems on their clothing and went from village to village. It was really the stories written on their bodies that they were telling.
MCH: It was "performance art" ahead of its time ?
MF: Yes. That's what led me to do the series of photos, "Bordersickness", buttons pinned to my own body, I wanted to litterally wear my own name.
MCH: What kind of connection do you see with the storytellers of the Jamma El Fna square in Marrakech that Unesco called "the immaterial legacy of humanity" ?
MF: Words, what we call "tchatche" here at Val Fourré, chatting, sharing stories, "shooting the shit" - a big part of my work is based on meeting others, going up to someone in the street to ask what time it is. Asking "where are the others?" is truly a performance. It's very poetic to be part of the immaterial legacy of humanity. Words may be the only thing we have left in the end.
|