Lorsqu’il évoque son tout premier contact avec l’art durant son enfance dans un quartier populaire de Tanger, mounir fatmi raconte souvent avoir regardé un mouton manger une reproduction de la Joconde posée à l’envers dans le marché aux puces de son quartier. Cette scène est une métaphore pour de nombreux aspects de sa pratique artistique, fondée sur une relation souvent iconoclaste avec l’histoire de l’art, une réflexion sur le statut de l’art dans le monde et un questionnement sur la façon dont les considérations esthétiques interagissent avec la politique, l’économie et même la religion. Aujourd’hui installé à Paris, fatmi a développé au cours de ses nombreux voyages une conception du déplacement en tant qu’outil essentiel pour interpréter le monde contemporain : « En exil, écrit-il, j’ai fabriqué des lunettes pour voir. » Il a répondu aux questions de Christophe Gallois au sujet de divers aspects de son travail, concernant notamment la religion, la mémoire et l’oubli, la violence des images et l’identité.
Christophe Gallois : Je voudrais commencer cette interview en parlant d’une œuvre que vous avez récemment présentée dans le cadre de l’exposition Traces du sacré au Centre Pompidou. Visible dès l’entrée de l’exposition, Tête dure (2005-2008) se présentait comme une peinture murale montrant une tête humaine contenant, à la place du cerveau, un calligraphie arabe, une traduction libre d’un extrait du Coran qui dit : « Est-ce qu’ils se ressemblent, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? » L’œuvre s’apparente à un commentaire exprimé sous la forme d’une question rhétorique sur le statut de la croyance et de la religion aujourd’hui. Est-ce que vous pourriez nous parler de votre utilisation de cette phrase ?
mounir fatmi : Cette phrase nous ramène directement à la question du savoir. Aujourd’hui, trop de clichés sont associés au Coran et à la calligraphie arabe : l’islamisme, le terrorisme, etc. Face à cette œuvre, le spectateur est confronté à deux choses simultanément : la beauté du texte et sa violence. Cette œuvre aborde aussi la question de l’ignorance. Elle crée deux catégories de spectateurs : ceux qui ont une relation esthétique avec l’œuvre, et ceux qui viennent pour lire, et qui pensent comprendre mais en réalité ne comprennent pas car il n’y a pas de réponse à la question posée. Alors qui comprend ? Je pense que ceux qui comprennent sont morts car ils ont la réponse à la vraie question de la vie : ce qu’il y a au-delà. Pour cette raison, j’ai beaucoup aimé la décision de Jean de Loisy, le commissaire de l’exposition, de placer mon œuvre à côté d’un Goya, Ello dirà (env. 1810-1823), une toile qui montre une personne revenant du monde des morts et qui dit nada, rien.
C.G. : La désorientation religieuse infuse nombre de vos œuvres. Je pense par exemple à Sans où (1999), une série de tapis de prière équipés de roues et de boussoles, et à Manipulations (2004), une vidéo dans laquelle on voit une paire de mains jouant avec un Rubik’s cube. Au début de la vidéo, l’objet a une ligne blanche qui fait penser à la Kaaba, mais à mesure que les mains reconfigurent le cube, le noir commence à s’en détacher, comme si sa surface se liquéfiait en une sorte de pétrole.
M.F. : Commencer une œuvre, c’est comme poser une équation. Toutes mes œuvres ont une dimension esthétique, mais l’équation devient plus intéressante quand je peux développer des suggestions politiques, religieuses ou économiques à partir de cette dimension. Manipulations semble au départ n’être qu’une œuvre esthétique, mais elle devient religieuse lorsqu’elle fait référence à la Kaaba, économique avec la transformation du noir en pétrole, etc. L’une des critiques qu’on a faites à cette vidéo concerne le moment où, pour une fraction de seconde, tandis que la main est en train de réarranger le Rubik’s cube, on voit La Mecque avec une foule qui l’encercle. Certaines personnes ont trouvé cette image dérangeante, excessive. Mais faire une œuvre parfaite ne m’intéresse pas. Produire une réponse artistique à ce qui se passe dans le monde est tellement compliqué et sans doute tellement prétentieux. L’art est en rapport avec la vie, et la vie est désordonnée ; par conséquent, l’art a un côté désordonné qu’il faut accepter et partager.
C.G. : Un grand nombre de vos œuvres utilisent des cassettes VHS qui sont arrangées pour former différents objets, comme une chaise électrique dans Gardons espoir (2007) ou une tombe dans Va et attends-moi (2007). Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces objets qui, bien qu’ils fassent partie de notre histoire récente, sont déjà obsolètes ?
M.F. : La cassette VHS est un matériau pour la mémoire, tout comme les câbles d’antenne, un autre matériau que j’utilise souvent. J’ai toujours pensé qu’il y avait une mémoire qui persiste au sein de ces matériaux. Ce sont aussi des supports qui sont en voie de disparition. Ils marquent la fin d’une pensée, d’une façon de voir les choses. Ma réflexion autour des cassettes VHS a commencé au début des années 90, parce que les cassettes étaient utilisées comme un moyen de diffuser au Maroc la propagande émanant de prêcheurs saoudiens. Une deuxième étape a été la célèbre cassette de Ben Laden. Après avoir bombardé les montagnes, ils ont trouvé une cassette intacte, et ils ont tout de suite compris que cette cassette était un élément de manipulation par excellence. Il fallait accepter cette cassette, la croire mot pour mot. Si vous doutiez d’elle, vous étiez automatiquement du côté des terroristes. J’ai créé ma première œuvre en utilisant des cassettes VHS en 2004-2005, pour l’exposition Uit de landen van ondergaande zon à Amsterdam. L’œuvre s’inspirait de l’assassinat de Theo Van Gogh et prenait la forme d’un écran noir fait de 500 cassettes placées contre le mur, comme un monochrome noir. Mais on ne peut rien projeter sur cet écran ; on ne peut pas créer des images comme sur un écran de cinéma parce qu’avec les bobines blanches des cassettes VHS c’est impossible de faire le point.
C.G. : Toujours sur cette question de la relation entre mémoire et disparition, beaucoup de vos œuvres concernent des événements historiques ou des personnes ayant disparu dans la poussière du temps, souvent pour des raisons politiques. Votre installation Face au silence (2002), par exemple, est basée sur Mehdi Ben Barka, un dissident marocain qui a disparu à Paris en 1965 et n’a jamais été trouvé. Cette œuvre semble illustrer une phrase de votre manifeste qui dit « Ceux qui ont été rendus fort ont perdu leur voix. »
M.F. : Le point de départ de Face au silence était l’absence totale d’informations crédibles sur l’affaire Ben Barka. Parce qu’il faut compenser ce manque, on est obligé d’imaginer toutes sortes d’histoires. Beaucoup de gens acceptent ce vide. Ils pensent qu’il faut laisser la politique aux politiciens. Pendant longtemps, cette posture a également été dominante dans le monde de l’art, et il intéressant de constater qu’aujourd’hui l’art a accepté la politique. Je pense qu’on ne peut pas laisser la religion aux religieux, la philosophie aux philosophes… J’ai ma propre position vis-à-vis de la religion, c’est d’ailleurs pourquoi j’utilise des tapis de prière comme support artistique par exemple. Le terme « religion » vient du latin « religere », qui signifie relier. La question religieuse est avant tout une question de connexions : connecter les choses entre elles, connecter le passer avec l’avenir. Je ne peux pas comprendre le monde en ne lisant rien qu’un texte religieux, ou qu’un tract politique.
C.G. : La série Les Connexions (2003-2007) est directement en lien avec cette approche. Elle consiste en une collection de livres arrangés sur une table, reliés par des pinces électriques. Cela ressemble à une espèce de machinerie terroriste, comme une bombe artisanale. Vous avez aussi créé une série de photos intitulée L’Evolution ou la mort qui montre des gens portant ces livres comme des ceintures, prêts à enclencher une « attaque littéraire ».
M.F. : Les Connexions est né d’une réflexion sur la mutation du mot « taliban », qui signifie « étudiant » en arabe. Mais pour les talibans, étudier signifie étudier un seul livre, le Coran. Je ne crois pas qu’on puisse comprendre le monde en n’étudiant qu’un seul livre. Nous devons créer des connexions avec d’autres choses, parfois contradictoires. J’ai commencé en reliant différents textes religieux. Ensuite j’ai connecté des livres provenant de ma propre bibliothèque, comme l’Erotisme de Bataille, Les Garçons sauvages de Burroughs, l’Esthétique de Hegel. Ensuite j’ai cherché des livres qui pourraient s’intégrer dans cette connexion. J’ai créé plusieurs œuvres autour de cette idée, jusqu’à la cinquième qui est composée uniquement de textes religieux. L’œuvre joue sur un paradoxe : le danger ne semble pas résider dans le fait de lire le Coran uniquement, mais de le relier à d’autres livres. Est-ce qu’on risque d’exploser en faisant ces connexions ? De plus, il y a une idée de transmission entre ces livres. On a l’impression qu’il y a de l’énergie qui passe d’un livre à l’autre, que l’œuvre génère de l’énergie.
C.G. : La question de la violence est latente dans bon nombre de vos œuvres. Le critique d’art Paul Ardenne définit votre pratique comme étant « une collection esthétisée de toutes les formes contemporaines de violence », du terrorisme à la politique de la peur, l’endoctrinement religieux, etc. Je voudrais que vous commentiez une phrase dans une de vos œuvres qui dit : « Si tu es un ennemi, je te tuerai pour de l’argent. Si tu es un ami, je te tuerai pour rien. »
M.F. : La violence est fascinante. Si vous la refusez, vous arrivez à l’idée de la pureté, de l’innocence. Cette phrase dit qu’il n’y a pas d’innocence. Je suis contre l’idée de la culpabilité chrétienne, mais je pense qu’il y a une vérité humaine dans la violence qu’il est trop facile d’ignorer. J’ai choisi de travailler avec cette violence. Comme tout le monde, j’ai été profondément affecté par les images du 11 septembre. Nous étions déconnectés de la réalité et lorsque le 11 septembre est arrivé, il y eu un retour à la réalité qui nous a tous éclaboussés. Beaucoup de mes œuvres ont trait à notre obligation de vivre avec certaines images.
C.G. : Un grand nombre de vos œuvres prennent la forme d’obstacles équestres, peints et arrangés de diverses façons dans l’espace d’exposition. Un aspect important de ces œuvres et qu’elles se situent à mi-chemin entre la construction et la déconstruction.
M.F. : Pour parler de la série d’obstacles, j’aimerais parler d’architecture. J’ai passé quatre ans à Mantes-la-Jolie, dans la banlieue de Paris, où j’ai travaillé sur l’architecture. J’ai découvert que l’architecture n’offre rien. L’idée même que l’architecture puisse être une solution pour l’humanité est complètement fausse. Ces obstacles sont étroitement reliés à l’architecture, à l’appréhension de l’espace, l’idée d’équilibre, de faille, d’échec. Ils mettent en avant une expérience très personnelle en vous forçant à négocier votre chemin autour de l’exposition, à être confronté à l’installation.
C.G. : Un autre aspect significatif de cette série est la pluralité des points de vue. On perçoit l’œuvre d’une façon très différente selon qu’elle est devant soi, auquel cas elle peut fonctionner comme une image, ou qu’on la traverse. L’œuvre se déconstruit à mesure qu’on marche à travers l’installation.
M.F. : Ces installations fonctionnent comme des métaphores de la fragilité humaine. Avec la destruction des Twin Towers, j’estime que nous avons réintégré la question de la fragilité. Nous avons redécouvert que tout est fragile, que tout est éphémère, que nous ne sommes rien face à autant d’obstacles. Il y a un retour à la fragilité et à la réalité. Je pense que nous allons aller au-delà de la question de Dieu et nous poser la question de la réalité.
C.G. : Pour conclure, j’aimerais qu’on aborde la question de l’identité. Une des phrases de votre manifeste dit « Je veux un drapeau transparent ». Cette phrase correspond à une tentative, très présente dans votre travail, de rejeter les identités reçues afin de développer une nouvelle identité.
M.F. : Pour moi, l’identité est le pire héritage qu’on puisse recevoir. Pour bon nombre de gens, l’identité est simplement un moyen de gérer une situation sociale. En ce qui me concerne, je préfère m’approprier d’autres identités. Je pense qu’il est plutôt intéressant de voir ce qu’implique, par exemple, l’idée de n’être qu’un Terrien. Cette vision globale m’intéresse. Je suis marocain, arabe, musulman, méditerranéen, africain. Si je pouvais être quelque chose d’autre demain, ce serait formidable. La question de l’identité est aussi très présente dans l’art. C’est quelque chose dont j’ai fait l’expérience durant l’exposition Africa Remix (Hayward Gallery et Centre Pompidou, 2005). Beaucoup de mes amis m’ont demandé si exposer dans un tel contexte risquerait de réduire mon travail à une interprétation purement africaine. J’ai trouvé que c’était là une critique assez simpliste. Quand un artiste européen crée une fourchette, on va parler de design, de matière, d’utilité. Mais si un artiste africain crée une fourchette, on va parler d’Afrique. On a l’impression de porter sur ses épaules tous les malentendus à propos de l’Afrique, le colonialisme, les dictateurs africains, l’argent du pétrole, les diamants… En ce qui me concerne, j’ai réglé cette question de l’identité en la traitant comme un script et en travaillant avec comme un acteur. Dans chaque exposition, je joue un rôle : aux Etats-Unis, je suis traité comme un Français ; en France, je suis marocain ou maghrébin ; quand je retourne au Maroc, je suis un faux-Français, un immigré. L’identité est un faux sujet avec lequel il est intéressant de jouer.
mounir fatmi interviewé par Christophe Gallois, 2008.
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When describing his first contact with art as a child in the working-class neighborhoods of Tangier, Mounir Fatmi often recalls once witnessing a sheep eat an upside-down reproduction of the Mona Lisa in a neighborhood flea market. This scene serves as a metaphor for numerous aspects of his practice, based on an oftentimes iconoclastic relationship to art history, a reflection on the status of art in the world and an inquiry into the way in which aesthetic questions come into contact with politics, economics and even religion. While he now lives in Paris, through the course of his travels in different countries, Fatmi has developed an approach to displacement as a critical tool for interpreting the contemporary world: "Out of exile," he writes, "I created glasses so I could see." He spoke with Christophe Gallois about various aspects of his work, including issues which center around religion, memory and forgetting, the violence of images and identity.
Christophe Gallois: I would like to begin this interview by speaking about a work you recently presented in the exhibition Traces du sacré at the Centre Pompidou. Visible from the entrance of the exhibition, Tête dure (2005-2008) was presented as a wall painting depicting a human head that contained, in place of a brain, Arabic calligraphy, a loose transcription of an excerpt from the Koran that reads, "Do they look alike, those who know and those who do not?" The work seems like a commentary, expressed as a rhetorical question, on the status of belief and religion today. Could you speak about your use of this phrase?
mounir fatmi: This phrase takes us directly to the question of knowledge. These days, so many clichés are associated with the Koran and Arabic calligraphy: fundamentalism, terrorism, etc. Standing before this work, the spectator is confronted with two parallel things, the beauty of the text and its violence. The work also has to do with the question of ignorance. It creates two types of audience members: those who have an aesthetic relationship to the work, and those who come to read, and believe they get it, but who in fact don't get it because there's no response to the question it poses. So who gets it? I think that the ones who understand are the dead, because they have an answer to the real question of life: what lies beyond. For that reason, I really liked the decision of Jean de Loisy, the curator of the exhibition, to place my work next to a Goya, Ello dirà (ca.1810-1823), a work that depicts a person who comes back from the dead and says nada, nothing.
CG: Religious disorientation runs through many of your works. I'm thinking, for example, of Sans où (1999), a series of prayer rugs rigged with wheels and compasses, and Manipulations (2004), a video in which one sees a pair of hands playing with a black Rubik's cube. At the beginning of the video, the object has a white line suggesting the Kaaba, but as the hands continue to reconfigure the cube, the black starts to come off on them, as if the surface were liquefying in some sort of oil.
MF: Starting a work is like composing an equation. All of my works have an aesthetic dimension, but the equation becomes more interesting when I can develop political, religious or economic suggestions out of this dimension. Manipulations seems at first like a merely aesthetic work, but it becomes religious when it references the Kaaba, economic with its transformation of the color black into oil, etc. One of the critiques made about this video concerns the moment when, for a fraction of a second while the hand is rearranging the Rubik's cube, you see Mecca with a crowd encircling it. Certain people found that image disturbing, over the top. But I'm not interested in making a perfect work. Producing an artistic proposition in response to what's happening in the world is so complicated and perhaps so pretentious. Art touches life, and life is messy; art therefore has a messy side that you have to deal with and share.
CG: Many of your pieces use VHS tapes, which are combined with each other to form different objects, like an electric chair in Gardons espoir (2007), or a grave in Va et attends moi (2007). What interests you in these materials, ones which—even if they're part of recent history—are already obsolete?
MF: The VHS tape is a material of memory, like antenna cables, another material I often use. I've always thought that there was a memory that persists within these materials. They are also a medium that is on the road to disappearance. They mark the end of a thought, a way of seeing things. My reflections around VHS tapes began at the beginning of the 90s, because the tapes served as a way to disseminate propaganda in Morocco that came from Saudi-Arabian preaching. A second stage was Bin Laden's famous tape. After bombing in the mountains, they found an intact tape, and understood pretty much right away that this tape was an element of manipulation par excellence. You had to accept this tape, believe it at its word. If you doubted it, you would automatically be siding with the terrorists. I created my first work using VHS tapes in 2004-2005, for the exhibition Uit de landen van ondergaande zon in Amsterdam. The work came out of the assassination of Theo Van Gogh and took the form of a black screen made from 500 tapes placed on the wall, like a black monochrome. But you can't project anything onto this screen; you cannot create images like on a film screen because, with the white spools in VHS tapes, it's impossible to find a focus.
CG: Still on this question of the relationship between memory and disappearance, many of your works concern historical events or people who have been lost to the sands of time, often for political reasons. Your installation Face au silence (2002), for example, is based on Mehdi Ben Barka, a Moroccan dissident who vanished from Paris in 1965 and was never found. The work seems to illustrate a phrase from your manifesto, which reads, "Those who were made strong have lost their voice."
MF: The point of departure for Face au silence was the total absence of serious information on the Ben Barka case. Because you have to make up for this lack, you're forced to imagine all sorts of stories. Many people accepted this lack. They think that you have to leave politics to the politicians. For quite a while, this position also dominated in the field of art, and it's interesting to see that today art has accepted politics. I think that you can't leave religion to the religious, philosophy to the philosophers... I have my own position as regards religion, which is why, for example, I use prayer rugs as an artistic medium. The term religion comes from the Latin religare, which means to link up (relier). The religious question is above all a question of connections: connecting things to others, connecting the past with the future. I can't understand the world by reading just one religious text, or one political tract.
CG: The series Les Connexions (2003-2007) refers directly to this approach. It consists of a collection of books arranged on a table, connected by electrical clamps. It looks like some sort of terrorist device, like a homemade bomb. You also created a series of photographs entitled L'Evolution ou la mort which depicts people wearing these books as belts, prepared to set off a "literary attack."
MF: Les Connexions came from reflecting on the mutation of the word "Taliban," which in Arab means "student." But for the Talibans, to study is to study one sole book, the Koran. I don't thank that we can understand the world by studying just one book. We need to make links with other things, sometimes contradictory things. I began by connecting different religious texts. Then I connected books from my own bookshelves, like Bataille's L'Erotisme, Burrough's The Wild Boys, Hegel's Aesthetics. Then I looked for books that could enter into this connection. I've made several pieces around this idea, up until the fifth one, which is composed entirely of religious texts. The work plays with a paradox: danger does not seem to lie in reading the Koran alone, but in connecting it with other books. Do you risk explosion in making these connections? There is furthermore an idea of transmission between these books. You have the impression that there is energy passing from one book to another, that the work generates energy.
CG: The question of violence is latent in many of your works. Art critic Paul Ardenne defines your practice as an "aestheticized collection of every contemporary form of violence" from terrorism to the politics of fear, religious indoctrination, etc. I would like you to comment on a phrase in one of your works that reads, "If you are an enemy, I will kill you for money. If you are a friend I will kill you for free."
MF: Violence is fascinating. If you refuse it, you come down to the idea of purity, innocence. This phrase says that there is no innocence. I am against the idea of Christian guilt, but I think that there is a human truth in violence that is all too easy to ignore. I chose to work with this violence. Like everyone, I was profoundly affected by the images of September 11. We were disconnected from reality and when September 11 happened, there was a return to the reality that had splattered over all of us. Many of my works operate on our obligation to live with certain images.
CG: Many of your works take the form of equestrian obstacles, variously painted and arranged in the exhibition space. An important aspect of these works is that they are located at a midpoint between construction and deconstruction.
MF: To speak about the series of obstacles, I would like to talk about architecture. I spent four years at a firm in Mantes-la-Jolie, in the suburbs of Paris, where I worked on architecture. I discovered that architecture doesn't offer anything. Even the idea that architecture can be a solution for humanity is totally false. These obstacles are closely linked with architecture, the apprehension of space, the idea of balance, rifts, failure. They put forward a very personal experience by forcing you to negotiate your route around the exhibition, to confront the installation.
CG: Another significant aspect of this series is the plurality of points of view. You perceive the piece in a very different way depending on whether it is in front of you, where the work can function like an image, or whether you're crossing through it. The work deconstructs as you pace through the installation.
MF: These installations function like metaphors for humanity's fragility. With the destruction of the Twin Towers, I think that we've reintegrated the question of fragility. We rediscovered that everything is fragile, that everything is ephemeral, that we are nothing faced with so many obstacles. There is a return to fragility and reality. I think that we are going to get beyond the question of God to ask ourselves questions about reality.
CG: To conclude, I'd like to address the issue of identity. One of the phrases in your manifesto states, "I want a transparent flag." This phrase corresponds to an attempt, which is very present in your work, to reject received identities in order to develop a new identity.
MF: For me, identity is the worst heritage you can receive. For many people, identity is a simply way to handle a social situation. Where I'm concerned, I prefer to appropriate other identities. I think that it's rather interesting to see what is implied, for instance, by the idea of simply being an earthling. This global vision interests me. I am Moroccan, Arab, Muslim geographically, Mediterranean, African. If I could be something else tomorrow, that would be great. The question of identity is also very present in art. It's something that I experienced during the exhibition Africa Remix (Hayward Gallery and Centre Pompidou, 2005). Many of my friends asked me if exhibiting in this context would risk reducing my work to a uniquely African reading. I thought this was a pretty simplistic critique. When a European artist creates a fork, we're going to talk about design, material, utility. But if an African artist creates a fork, we're going to talk about Africa. You feel like you're shouldering all the misunderstandings about Africa, colonialism, African dictators, oil money, diamonds. So far as I'm concerned, I have dealt with this question of identity by treating it like a script, and working with it like an actor. In each exhibition, I play a role: in the US, I'm treated like a Frenchman; in France, I'm Moroccan or North African; when I go back to Morocco, I'm a fake-Frenchman, an immigrant. Identity is a false subject, one that is interesting to play with.
mounir fatmi interviewed by Christophe Gallois, 2008.
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