Dieu est Tout et son Contraire. Celui qui élève et celui qui abaisse. Le Novateur et le Conservateur. Le Gérant et l’Exalté. L’Antérieur et le Postérieur. Ou, selon ma traduction plus libre, la sainte Cloche qui pardonne et le Banquier qui demande des comptes, l’Étoile du Capital ou la Serpillère de l’Astre ultime…
Mounir Fatmi, lui aussi, est tout et son contraire, mais en minuscules, et à l’échelle de ses œuvres de rien et de tout. Qui ne sont pas rien du tout, mais un moyen de rien pour éclairer le tout de rien. Ou pour explorer le rien du Tout. Le long de ses images qui, comme les « 99 noms de Dieu », aiment à se contredire, l’artiste avec un petit « a » cultive un visage aux mille faces. Car Fatmi, ce dieu si joliment insignifiant, est un magicien en quête de ses fantômes et des nôtres, en traque des ombres qui combattent au plus profond de notre cerveau, tiraillées entre la religion qui rend con et la consommation qui rend chèvre, le Capitalisme du petit déjeuner et l’Islam du dîner, bref l’abrutissement par défaut ou par excès.
Parfois, je me dis : Mounir Fatmi en fait trop. Je tremble un instant devant ses « Égarés » d’un village paumé, quelque part au Maroc ou ailleurs, debouts, battus par le vent. Je souris aux baskets de l’une, et à la façon dont l’autre s’accoude à un Croissant de l’Islam. Puis je doute : et s’il avait fabriqué tout ça ? Si son art n’était qu’une pose ? Et je réalise, en effet, que ce n’est qu’une pause. Que ce film dessine une prière, sans doute face à La Mecque. Presque un reportage. J’aime ce presque-là. J’aime la façon dont Fatmi dessine le faux du vrai, via le vrai du faux. J’aime les implosions d’images toutes pornographiques de « Dieu me pardonne ». J’aime la soif d’amour de ses « Ciseaux » qui se jouent de la censure. J’aime les « Manipulations » poli sensées, poli sensuelles et poli insensées de son Rubik’s Cube, symbole d’une logique occidentale qui se peint de pétrole. Et qui se retourne en son contraire par la grâce d’un éclair de la Kaaba, tombeau de la Pierre Noire parsemé de populace qui transforme paradoxalement ce Cube logique en symbole illogique de quelque secte boursière. J’aime les ectoplasmes de « Commerciale », en particulier celui qui passe la porte transparente du supermarché avec des chaussures à la main, sans percevoir lui non plus le Cube noir à la bande blanche, incarnation de son, de notre cerveau abîmé. J’aime l’ambivalence des « Faiseurs de pluie », quand Fatmi s’empare de la soutane libertaire d’un Bill Viola qui aurait été déchiré par les flammes ambigües de l’Islam contemporain. Car j’adore les images accélérées de ce minaret, surplombant une immense antenne parabolique. J’adore son chant de prière sur fond d’antennes TV, faisant briller le linge qui pend entre la terre technologique et le ciel mystique. J’adore ? Oui. Ou je déteste, ce qui revient au même, tant que ces films fort spirituels secouent mes circuits intérieurs comme l’artiste semble lui-même secoué par ses propres circonvolutions. Tant qu’ils réussissent à briser ma tête d’œuf – dur bien sûr. Car les images de Fatmi sont trouées, livrées à mille et une interprétations. Au grand dam du critique qui se voudrait objectif, ce crétin, elles forcent l’imaginaire de chacun et m’obligent à lire en mon esprit ces milliards de clichés qui ne m’appartiennent pas. Mounir Fatmi n’est pas drôle, il a beaucoup d’humour. Désormais, j’en suis certain : tel un dieu sans ses majuscules, ce cosmopolite né à Tanger sous une capote musulmane puis nourri de nos Pains et Jeux occidentaux est vraiment tout et son contraire. Sauf, qu’à l’instar de Socrate, ce créateur-là sait bien qu’il ne sait rien. Mais diable que ce rien est fascinant. Tout est son contraire.
Ariel Kyrou
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God is Everything and its Opposite. He who Raises and Lowers. The Innovator and the Conservative. The Leader and the Exalted. The Anterior and the Posterior. Or according to my liberal translation, the Holy Bell that pardons and the Banker who wants his payment due, the Capital Star or the ultimate Star Cloth …
Mounir Fatmi, as well, is also everything and it’s opposite, but in lower case and on the scale of his works of nothing and everything. Which is not nothing, but a nothing way of highlighting the everything of nothing. Or to explore the nothing of Everything. His images, such as the 99 names of God, like to contradict; the artist with a small “a” cultivates a face of a thousand faces. For Fatmi, this god so beautifully insignificant, is a magician in search of his ghosts as well as ours, on the trail of shadows that fight within the deepest depths of our brain, pulled between religion that makes us dumb and consumerism that makes us giddy, breakfast Capitalism, Islamic supper, otherwise a moronic state by default or by excess.
Sometimes I tell myself: Mounir Fatmi is going too far. I tremble for an instant in front of the Lost Ones of a lost village, somewhere in Morocco or elsewhere, standing up, beaten by the wind. I smile at one of their sneakers, and the way the other leans against an Islamic Crescent. Then I wonder: and if he had made this all up? What if his art was nothing but a posture? And then I realize, in fact, that it’s just a pause. That this film illustrates a prayer, facing Mecca no doubt. A TV report almost. I like this almost there. I like the way Fatmi draws the fake from the real, via the real of the fake. I like the implosions of the near pornographic images of May God forgive me. I like the thirst of love of his Scissors that plays on censorship. I like the sensibly polite Manipulations and the insensible politeness of his Rubik’s Cube, symbol of western logic painted by petrol. And who returns to it’s opposite by the grace of a flash of the Kaaba, tomb of the Black Rock scattered with people who paradoxically transforms this logical Cube into an illogical symbol of a stock market cult. I like the ectoplasms of Commercial, in particular the one that passes through a transparent door of the supermarket with shoes in hand, without even noticing the black Cube with the white band, the incarnation of his, of our damaged brain. I like the ambivalence of Rain Making, when Fatmi seizes on the liberal cassock of a Bill Viola that would have been ripped apart by the ambiguous flames of contemporary Islam. I love the accelerated images of the minaret, overhanging a large satellite dish. I love his prayer chants over TV antennas, making shine the drying laundry that hangs between the technological earth and the mystical sky. I love it? Yes. Or I detest it, which amounts to the same, so spiritually powerful are his films that they shake my inner circuits just as the artist seems to be shaken by his own circumvolutions. As long as he manages to break my egghead – hard of course. Because Fatmi’s images are full of holes, delivered with a thousand and one interpretations. To the great displeasure of the so called objective critic, this knucklehead, they force our imagination and oblige us to read the billions of clichés in my mind that don’t belong to me. Mounir Fatmi is not funny, he has a great sense of humor. Nevertheless, I am sure: a god without his capitals, this cosmopolitan born in Tangiers under a Muslim hood and fed with our western Bread and Games is really everything and its opposite. Expect in the manner of Socrates, the creator knows that he knows nothing. But hell is this nothing fascinating. Everything and its opposite.
Ariel Kyrou
[translation by M. Horchler]
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