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09 M. C.Hadria - Did you say Exotic ? Paris, 2003 Critics
 


Perhaps it is in that way that Mounir Fatmi's film is striking, because it carries in its very tight framework of sonorities, of modern trance, of desperate sensoriality,


Michèle Cohen Hadria, 2003
 

From the same author: Prouesses et surenchères de la « Copie »…

"Vous avez dit Exotic" ? Critique des médias à travers le film expérimental, Paris 2003

"Did you say Exotic" ? Criticism of the media through experimental film, Paris, 2003  

C’est peu de dire qu’une oeuvre telle "Exotic", se présente comme un film essentiellement tramé. Converge en effet subrepticement en lui, un faisceau de possibles et de réminiscences, qui à la fois évanescents et reconnaissables palpitent à nos yeux de façon subliminale. Ce que nous y "reconnaissons" ne se dévoile pas de prime abord, malgré cette danse masculine filmée dans les rues de Kinshasa, si propres à l’Afrique de laquelle ne serait rien d’autre à déduire pour nous qu’une identification au regard amusé, distrait, d’un vague badaud touriste étrangers face à ce genre de spectacle d’une si grande force "vernaculaire".

Or à mesure que le film "grossit"en densité, sonorité, suivant la cadence de cette performance populaire quasi confidentielle ; comme en aparté de la rue, nous commençons à nous sentir pris dans les rets d’un filet anthropologique et historique. Un peu de cette transe nous gagne à notre tour, et nous ne pouvons esquiver en elle certains spectres, lumineux et à la fois obscurs, ni certains éclats tentaculaires nous harponnant pour nous faire ricocher à la vitesse éclair vers un lourd pan de l’histoire occidentale. Celle des colonisations, cela se conçoit, légitimant hier une vision "civilisatrice"; et autre regard en surplomb prétendument anthropologique. Cette même anthropologie qui dut ensuite se confronter à ses propres péchés originels et qui condescendait au début du XXe siècle à voir en ces hommes de culture différente du dogme rationnel européen une taxinomie de "types". Or le rythme de ce film dont la condensation inquiète, nous porte aussi à voir "se révéler"en lui (et je parle ici de révélation au sens photographique et chimique du terme) à travers un chassé croisé d’images et de gestes brouillés et un incessant sillage de luminescences fantasmatiques, rien d’autre au fond que le portrait refusé de notre histoire.

Mounir Fatmi mêle ainsi plastiquement, avec grande maîtrise, des strates rétives, propulsant ces éclats d’une histoire ancienne entachant jusqu’à aujourd’hui le devenir africain. Comment, en effet, esquiver dans cette danse de rue, informelle et subite, mais rituelle à sa manière, les indices d’une hybridation post-moderne mêlant ces mémoires décoratives tribales aux T shirt "ship" de foot-ballers, ce passé hier inentamé à un présent hypothéqué par un consumérisme obsédant de signes pluriels, "low", "sponsor" recyclés ou rétroactifs, et, en Afrique dûment créolisés, y compris et au premier chef, à travers une sémiotique populaire et symptomatique, par-là impérieusement spéculative propre au champ sportif même ? Mais celui-ci, comme le montre Mounir Fatmi, ne redoublerait-il pas ici un autre chantier anthropologique au moins aussi complexe ?

Comme dans un blow-up plastique dont il ne perdrait aucun fil, l’artiste se saisit ainsi de ce reflet contemporain et le répercute par effet de propagation dans le champ réfracté d’une Histoire, quand soudain le bruissement serré, enivrant car pareil à un chant macroscopique de cigales, ouvre une brèche solennelle. Des Africains en tenue tribale flamboyante et feutrée esquissent, entre torse et front, un geste de sanctification chrétienne. Stance tragique d’une mort ancienne, d’une reddition. Ils se "signent", donc font signe vers ce signe emblématique : se signer. L’ébauche pudique de ce geste brûlant est à elle seule magistrale. Agissant par ralenti et incomplétude, Fatmi semble vouloir tenter d’interférer dans un flux inarrêtable de l’Histoire, l’intercepter, la ralentir pour qu’enfin celle-ci soit "vue". Même trop tard.

Etrange manifestation de myopie collective montrée comme une impossibilité affectant, non pas notre Histoire, en ce qu’elle est, mais la production orientée des récits d’Histoire.
Dictée hier subvertie d’un Présent. A travers cet arrêt sur Histoire, impossible, pourtant si fécond au cinéma, l’artiste relance le discours vers cet avant-poste largement inaperçu, où il se trouve aujourd’hui. Ce n’est plus un donné religieux obsolète, légitimant hier une idéologie blanche qui apparaît comme imperceptible, invisible, indétectable mais une toute autre religion, une obsession essentiellement mercantile qui n’a cessé de tracer sa ligne brûlante au cours des siècles. La voici enfin dans l’ampleur d’un cynisme réaffirmé. Les spectacles de foules assemblées dans des stades que Brahim Bachiri a emblématiquement capté comme étant ces "sujets" absents et agités dans "Marocaine à deux dimensions", voilà qui constitue de nos jours la cible d’une nouvelle mission civilisatrice, d’un invisible endoctrinement, religion insinuante, elle aussi idéologique, sémiotique, économique. Or celle-ci apparaît si commune et si répandue, que nul ne la voit, insérant des scènes de match de foot-ball dans le creuset d’une danse rituelle urbaine et populaire qui bat son plein que Fatmi renverse les espèces de ce regard lointain. A travers l’engouement, la marchandisation subséquente de la spectacularité foot-ball travaillant pour sa part les frustrations individuelles et collectives de mondes ici multiculturels, là-bas abandonnés à eux-mêmes, c’est toute une sociologie du présent civilisé qui dévoile un itinéraire lourd de sens. Comment vivre ensemble ? Ce possible, en l’absence d’un religieux ou de rituels hier fédérateurs, ne se produit plus aujourd’hui que par le biais d’une culture iconique exponentielle, sérielle, image économique follement cyclique.

Là sans doute, sur ce terrain d’anciens paysages décolonisés et livrés à eux-même sous les coups d’une mondialisation d’une équivalente iniquité, vrai rideau de brouillard, se rejoue non pas la scène primitive à jamais perdue, mais les espèces d’une colonisation des esprits, qui on s’en doute ne concerne plus – loin s’en faut – les seules populations africaines. Car nous sommes affectés également par ces disséminations d’images pauvres mais impérieuses à travers lesquelles ce n’est pas une anthropologie du sport occidental qui peine à se constituer, mais une anthropologie d’une contagion d’objets omniprésents et non perçus. Décoratifs, sémiotiques, spectaculaires et hybrides tous sont voués, d’avance et constitutionnellement, à l’effondrement du jetable, à travers leur consomption immédiate, promesse d’un "non-horizon" massivement induite dans nos sociétés essentiellement visuelles. Or qu’est-ce qu’une société visuelle qui se vend, s’achète, s’échange et ne voit rien ? Qui ne se voit même plus elle-même ? Vaste chantier de travail encore que Mounir Fatmi trace comme un carré magique pour demain. Ce même chantier d’hier où hier l’Histoire, soit le dense Présent d‘alors, apparaissait à tous, et en premier lieu à ceux qui l’assénaient comme fort d’une pathologie, insonore, invisible. Peut-être est-ce en ce sens que le film de Mounir Fatmi apparaît comme frappant, car il porte en ses trames si serrées de sonorités, de transe moderne, de sensorialité désespérée, un mouvement assourdissant, oscillatoire et riche révélant - d’hier et d’aujourd’hui – l’image puissante et cependant non vue.

 

It is an understatement to say that a work such as "Exotic" stands as a film with a genuine framework. Indeed, a network of possibilities and of reminiscences converge in it; those, both evanescent and recognizable flicker before our eyes in a subliminal way. What we "recognize" there does not reveal itself at once, though there is this dance performed by men and filmed in the streets of Kinshasa, these streets being so specifically African that all that we could withdraw from it is an identification to the amused and distracted look of an undefined foreign tourist confronted with this kind of performance which bears such an intense “vernacular” strength.

But, as the film gets more density, as the sound becomes stronger, following the rhythm of this popular yet almost confidential performance, as if we were aside from the street, we get the feeling that we are caught in the toils of an anthropological and historical net. In our turn, we are in a way caught in this trance within which we cannot avoid either some spectres, both luminous and obscure, nor some sprawling sparkles which harpoon us so as to make us ricochet at the speed of light towards a huge portion of western history: the history of colonization, as one will easily guess, which used to legitimate a "civilizing" view of the world. Above that there also existed an allegedly "anthropological" view. This very same anthropology which then had to confront itself with its own original sins and which, at the beginning of the 20th century, condescendingly saw in those men whose culture was different from that of the European rational dogma, a taxonomy based on "types". However, the rhythm of this film the density of which makes us uneasy also leads us to see that something else is "developing" within it (and I use the word "develop" in its photographic and chemical meaning): through the mass of scrambled images, gestures and never-ending threads of phantasmagorical luminescences, nothing appears, in the end, but the image of our history, an image which we refuse to see.

Mounir Fatmi thus mixes, from the viewpoint of form and in a masterly way, recalcitrant layers, hurling away these pieces of an ancient history which, until today, have vitiated Africa's future. In this informal and sudden street dance, how can one indeed evade the signs of a post-modern hybridization ? These very signs which are mixing these ornamental tribal memories with the "ship" Tee-shirt of football players, this past, untouched until yesterday, with a present which is signing away its future through an obsessive consumerism of signs, "low", "sponsor", either recycled or retroactive, and, in duly creolized Africa, first and foremost, through popular and symptomatic semiotics, imperiously speculative, typical of the sports field? But wouldn't it, as Fatmi shows it, redouble another anthropological process which would be at least as complex?

As in a plastic blow-up of which the artist would not lose a single piece, he thus seizes this contemporary reflection and passes it on, through an effect of propagation, in the refracted field of History, when, suddenly, the dense rustle, a dizzying one because it sounds like the macroscopic song of cicadas, opens a solemn gap. Africans wearing a flashing and plain tribal outfit are making, between their chest and their face, a slight gesture of Christian sanctification: they are crossing themselves. This is the tragic stanza of an ancient death, of surrender. They "are signing themselves", therefore they are making a sign towards this emblematical sign : crossing oneself. The rough outline of this burning gesture is, in itself, a masterly performance. Resorting to slow motion and non-fulfilment , Fatmi seems to be willing to try and interfere with the unstoppable flow of History, to intercept it, to slow it down so that it can be eventually seen, even though it's too late.

It is a strange expression of collective myopia, shown as impossible, which is not affecting our History in what it is in essence but the biased production of historical accounts.
A production which used to be dictated and which is now upset by present. Through this freeze frame on history, an impossible one, though so fruitful in the cinema, the artist restarts the debate about this widely unperceived outpost, the one on which he is standing today. It is no longer about some obsolete religious background which used to legitimate a white ideology which now appears imperceptible, invisible and undetectable: it is now about a totally different religion, a money-grabbing obsession which has kept drawing its burning line through the centuries. Here it is eventually, carrying all the strength of reaffirmed cynicism. The scenes of crowds gathered in stadiums that Brahim Bachiri symbolically captured as being these absent and agitated "individuals" in " Marocaine à deux dimensions" , those are nowadays the target of a new civilizing mission, of an invisible indoctrination, an insinuating religion which is also ideological, semiotic and economic. However, it is so common and so widespread that no one does actually see it. By inserting scenes of a football match in the crucible of an urban and popular ritual dance at its height, Fatmi reverses the appearances of this remote look. Through the craze and the subsequent merchandizing of football's spectacular aspect which is working on the collective and individual frustrations of worlds which are here multicultural, and there left to their own devices, it is a whole sociology of the civilized present which reveals an itinerary fraught with consequences. How can we live together? That possibility, at a time when religiousness or rituals which used to be federative are gone, only occurs today through the angle of an exponential culture based on image, a serial culture, through a wildly cyclical economic image.

It is there, undoubtedly, on this ground of old decolonized landscapes which are left to themselves while enduring the blows of an iniquitous globalization, an actual wall of fog, that a colonization of the souls is taking place (nothing to do with that forever lost primitive scene), a colonization which, as one will have easily guessed, no longer affects, by far, the sole African populations. We are indeed also affected by this dissemination of poor though imperious images through which it is no anthropology of western sport which is outlining with difficulty, but rather the anthropology of contagion by omnipresent and not perceived objects. Decorative, semiotic, spectacular and hybrid, all of them are destined, from the very start and in their very constitution, to collapse, as is everything that’s disposable, through their immediate consumption ; it is the promise of a "no-horizon" which is massively present in our societies which are essentially based on image. But what is truly a society based on image which sells itself, buys itself but still sees nothing ? Which doesn't even see itself anymore? This is another great piece of work that Mounir Fatmi is drawing like some magical square for tomorrow. This is the very same piece of work which belonged to yesterday when History, being then the dense Present, seemed soundless and invisible, especially for those who used to hurl it as bearing a strong pathology. Perhaps it is in that way that Mounir Fatmi's film is striking, because it carries in its very tight framework of sonorities, of modern trance, of desperate sensoriality, a deafening gesture, a rich and oscillatory one, which reveals the powerful, however not seen, image of both today and yesterday.