Cette installation engage un dialogue entre l’œuvre de Warhol et le minimalisme américain. Etrangement, l’image de la chaise électrique a pris une place, certes ambiguë, dans la culture populaire et il est possible que la série d’ « electric chairs », produite par Warhol dans les années 60 parmi d’autres « death and disasters », ait contribué à la popularité morbide de cette représentation. On connaît l’intérêt profond que Warhol portait à la mort – de nombreux critiques ont d’ailleurs interprété son œuvre à l’aune de cette fascination- mais cette image est sans doute une des plus fortes qu’il ait produit.
L’utilisation de la cassette VHS comme matériau de construction –un vocable récurrent chez mounir fatmi dans un emploi inédit ici- oppose à la plastique pop une esthétique puisant ses racines dans la rigueur des compositions géométriques de l’art concret ou de l’art minimal : motif itératif du point blanc (les pivots de rembobinage des cassettes) sur fond noir brillant. Le choix de ce matériau, ajouté à la dimension de construction environnementale de l’installation invite à de surprenants effets optiques. Selon la manière dont on se positionne, l’objet se fond dans son environnement, son volume se trouve comme rattrapé, avalé dans le quadrillage des motifs. D’une manière proche de celle sous-jacente à « Casse-tête pour un musulman modéré » (2004), Gardons espoir développe une stratégie qui tient à la fois du camouflage et de la perte de centre ; ici les effets optiques écrasant les volumes et les perspectives, le spectateur peine à reconnaître immédiatement l’objet, et le sens, pourtant présents sous ses yeux.
Ce dispositif optique exprime la confrontation historique du Pop et du minimalisme, mais aussi, dans un autre registre, la confusion et les ambivalences de notre relation à la mort.
La société contemporaine est entrée dans une vaine et farouche résistance contre la mort (la haine de la vieillesse, l’effroi de la maladie, le déni de la mort) et nourrit dans le même temps une fascination pour l’imagerie morbide (dans l’art, comme dans la mode, la recrudescence de crânes, de toutes sortes de vanités et de memento mori le plus souvent vidés de leur sens). Dans Gardons espoir, l’objet de mort est montré/caché dans un environnement enveloppant, anxiogène et fascinant, de la même manière que la mort est, pour reprendre l’expression de Jankélévitch « objectivité subjective », jouant à « cache cache avec la conscience »*, à la fois banalité de la mort du lointain, scandale de la mort du proche, incrédulité quant à la mort en propre. Dialectique du caché, aussi, dans ces cassettes, dont on sait qu’elle furent l’outil de propagande privilégié du terrorisme, objets médiatiques dont nous ne connaissons pas le contenu et qui pourrait tout aussi bien véhiculer les pires images de mort.
«On n'imagine pas le nombre de personnes qui accrocheraient chez elles le tableau de la chaise électrique, surtout si les coloris de la toile s'harmonisent avec les rideaux.", aurait dit Warhol, ironisant sur l’ambiguïté de l’esthétisme. Dans Gardons espoir, cette ambiguïté est maintenue et renforcée. A sa manière, la beauté de l’objet fonctionne bel et bien comme un piège. Car ce bel objet, qui est aussi objet de mort n’est évidemment pas anodin : la chaise électrique- qui fut considéré à l’époque de sa création, à la fin du 19e siècle, comme une alternative plus « humaine » à la pendaison- dévoile cet envers de l’Amérique triomphante dont parlait Warhol, et engage naturellement une réflexion politique et éthique sur la peine de mort.
Abolie ou maintenue, la question de la peine capitale hante toute conscience qui se veut politique. On connaît les arguments philosophiques politico-rationnels qui, "pour des raisons de pessimisme raisonné, de logique et de réalisme", pour reprendre l’expression de Camus**, affirment l’inanité ontologique et légale de la peine capitale. Convaincu de ces principes, mounir fatmi prend néanmoins ici le parti du sensible, de l’émotionnel, indissociablement liés à l’expérience de la peine de mort, celle du père de Camus, celle de Koestler, celle de Dostoïevski, qui, narrant cette expérience aux confins de la folie et de l’humain par la bouche de Mychkine, appuie son plaidoyer sur l’« espoir ».(« Mais la douleur la plus forte, la plus grave, peut-être, elle n’est pas dans les plaies, elle est dans ce qu’on sait à coup sûr que, là, dans une heure, et puis dans dix minutes, et puis dans une demi-minute, et puis maintenant, là, à l’instant, l’âme va jaillir du corps, et qu’on ne sera plus jamais un homme –et que tout çà c’est à coup sûr. Et quand on met la tête sous cette lame, et qu’on l’entend qui glisse au-dessus de la tête, c’est ce quart de seconde là qui est le plus terrifiant. »)***
Ainsi, le titre de l’œuvre, ironique au premier abord, révèle son épaisseur : Gardons espoir, autrement dit : jusqu’à la dernière seconde, l’espoir que quelque chose doit être possible....
Mais dans cet espace clos, qui peut-être aussi interprété comme une métaphore de l’existence, quelle échappatoire? Le point n’est pas de fonder quelque espérance en d’apaisants arrière-mondes, mais, tout en ouvrant la brèche de l’absurde, mounir fatmi manifeste à sa manière contre la barbarie, rappelant, à l’instar de Camus, que la seule solidarité humaine indiscutable est celle contre la mort.
Cette installation a été présentée en 2007 à la FIAC (Paris).
Marie Deparis, Janvier 2009.
* Vladimir Jankélévitch- La mort- Coll. champs Ed Flammarion
** Albert Camus & Arthur Koestler- Réflexions sur la peine capitale- coll. Folio Ed Gallimard
***Fedor Dostoïevski – L’idiot- Coll. Babel Ed Actes Sud – Trad. André Markowicz
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This installation begins a dialogue between Warhol's oeuvre and American Minimalism. Strangely, the image of the electric chair has taken its place, albeit ambiguous, in pop culture, and it is possible that Warhol's “electric chairs” series, produced in the 1960s, amongst other “death and disasters”, has contributed to the morbid popularity of this representation. Warhol's profound interest in death is well-known – numerous critics have also interpreted his work in the light of this fascination – but this image is without doubt one of the strongest he produced.
The use of VHS cassettes as construction material – a recurrent motif for mounir fatmi, used in a new way here – opposes the pop quality with an aesthetic that has its roots in the rigourous geometric compositions of concrete art or minimal art: the repetitive motif of white circles (the cassettes winding pivots) on a shiny black background. The choice of this material, added to the dimension of the installation's environmental construction gives rise to surprising optical effects. Depending on where you position yourself, the object melts into its environment, its volume appears trapped, swallowed in the grid of motifs. In a similar way to what underlies “Brainteaser for moderate Muslim” (2004), Keeping Faith develops a strategy which comes from both the
element of camouflage and the loss of centre. Here the optical effects crush the volume and perspectives and the spectator struggles to immediately recognise the object and meaning, which is nonetheless before their eyes.
This optical device expresses the historic confrontation of Pop and Minimalism, but also, in another register, the confusion and ambivalence of our relationship to death.
Contemporary society has entered into a vain and bitter resistance to death (hatred of old age, fear of disease, denial of death) and at the same time nourishes a fascination with morbid imagery (in art, as in fashion, the craze for skulls and all sorts of memento mori, more often than not devoid of meaning). In Keeping Faith, the object of death is shown/hidden is an enveloping, stressful and fascinating environment, in the same way that death is, to borrow Jankélévitch's expression “subjective objectivity”, playing “hide and seek with the conscience”*. It simultaneously
evokes the banality of death from afar, the scandal of death up close and the incredulity of death itself. There is also the contention of what is hidden on the cassettes, which can be recognised as the media once used as the propaganda tool of terrorism. The objects content is unknown but could very well convey the worst images of death.
“You wouldn't believe the number of people who hang the electric chair painting in the homes, especially if the colour of the canvas matches the curtains”, said Warhol ironically, on the ambiguity of the aesthics. In Keeping Faith, this ambiguity is maintained and reinforced. In its way, the beauty of the object functions well and truly as a trap. As this beautiful object, which is also an object of death is obviously not innocent. The electric chair – which was considered to be
a more “humane” alternative to hanging when it was created at the end of the nineteenth century – reveals the flip side of a triumphant America which Warhol spoke of, and naturally initiates political and ethical contemplation on the death penalty.
Abolished or maintained, the question of capital punishment haunts any conscience that would like to think of itself as political. We know the rational-political philosophical arguments, that “for reasons of considered pessimism, logic and realism”**, to repeat Camus' expression, assert the
ontological and legal inanity of capital punishment. mounir fatmi, although convinced of these principles, takes the sensitive emotional side here, inseparably linked to the experience of the death penalty. Such was the experience described by Camus, Koestler and Dostoyevsky, who, narrating this experience at the edge of insanity and humanity, through his character Myshkin, bases his plea on “hope”. (“But the most terrible agony may not be in the wounds themselves but in knowing for certain that within an hour, then within ten minutes, then within half a minute, now at this very
instant – your soul will leave your body and you will no longer be a person, and that is certain; the worst thing is that it is certain. And when you put your head under the blade, and you hearsomething sliding above your head, it's that quarter of a second there that is the most terrifying”***)
Thus the title of the work, ironic at first glance, reveals its depth: Keeping faith, in other words: right until the last second, the hope that something must be possible... But in this closed space, that can also be interpreted as a metaphor of existence, is there a way out? The point is not to place hope
in some soothing back-world, but, while opening the breach of the absurd, to protest - as mounir fatmi does in his own way - against the barbarity. We are reminded, following the example of Camus, that the only indisputable human solidarity is the one against death.
This installation was presented in 2007 at the Fiac (Paris)
Marie Deparis, January 2009.
Translation: Caroline Rossiter.
* Vladimir Jankélévitch- La mort- Coll. champs Ed Flammarion
** Albert Camus & Arthur Koestler- Réflexions sur la peine capitale- coll. Folio Ed Gallimard
***Fedor Dostoïevski – L’idiot- Coll. Babel Ed Actes Sud – Trad. André Markowicz
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