Cette installation présentée pour la première fois dans le cadre de l’exposition « In search of paradise » à la Galerie Ferdinand Van Dieten en même temps qu’à la Rijskakademie à Amsterdam, aux Pays-Bas, constitue une première proposition d’un dispositif appelé à se développer ultérieurement dans d’autres configurations.
La forêt de Mondrian pourrait se lire d’emblée comme un travail sur les éléments d’un vocabulaire plastique commun aux deux artistes.
En effet, à plusieurs reprises, notamment dans certaines configurations des « Obstacles », on retrouve dans les œuvres de mounir fatmi une certaine sémantique graphique et géométrique empruntée au langage visuel des précurseurs du minimalisme, dont font partie le groupe De Stilj et Piet Mondrian, dans ses œuvres tardives: les couleurs primaires (rouge, bleu, jaune) en aplats, associées au blanc et au noir structurant les lignes de la vision colorée.
C’est donc une sorte d’hommage, ou plus précisément un point d’élan de l’inspiration, qu’expriment les immenses compositions de barres d’obstacles hautes de cinq mètres, posées en inclinaison contre les murs. Ici, mounir fatmi produit des correspondances, énigmatiques au premier abord, entre l’œuvre de Mondrian et la forêt. Ainsi, une observation précise révèlera, dans la moitié inférieure du dispositif, une composition picturale proche d’une œuvre connue de Mondrian tandis que dans la partie supérieure, la composition se trouve comme déstructurée, déconstruite : elle devient – redevient ?- l’apparent fouillis originel de la forêt. Dans le même ordre d’idée, les barres d’obstacle, matériau-type chez mounir fatmi, sont rappelées à leurs origines naturelles: le bois dont elles sont faites, leur verticalité pour l’élancement des arbres vers les hauteurs, leur force par la massivité de leur présence et leur fragilité, suggérée par la barre brisée.
Car le titre de cette installation, La forêt de Mondrian, renvoie à des périodes de l’artiste néerlandais peu connues du grand public, et en particulier à ses premières œuvres que l’on pourrait qualifier d’académiques. D’une certaine manière, au travers de ces barres d’obstacles et de l’installation toute entière, mounir fatmi propose une sorte de synthèse de la manière dont s’est fait le passage d’une peinture de la représentation de la nature, d’un monde extérieur, à la création d’un vocabulaire plastique, d’un univers et d’un monde de représentation autonome et universel, une révolution dans le monde des images, de la « nature immémoriale » à la modernité. La photographie sur soie de sous-bois, relayée par la double représentation des barres d’obstacles rappelle comment Mondrian s’est formé devant la nature, dans la tradition hollandaise des paysages et plus particulièrement dans la lignée des paysagistes de La Haye, à la fin du 19e, puis s’est frotté au cubisme pour arriver au seuil de l’abstraction et à une nouvelle plasticité.
C’est précisément sur un dessin de la période naturaliste de Mondrian (« Pinède près d’Oele », vers 1906, crayon sur papier conservé au Gemeentemuseum de La Haye) que s’est arrêté l’attention de mounir fatmi et dont il s’est inspiré pour la photographie sur soie et dans cette confrontation, qui est aussi celle de l’histoire de l’art, entre la représentation naturaliste du monde et l’abstraction, le minimalisme, la déconstruction, la modernité...
Intéressé par cette problématique de la représentation de la nature, l’artiste s’interroge sur la manière dont on peut, aujourd’hui, réintroduire la représentation de la nature dans l’œuvre contemporaine, et, sorte d’étude de cas, comment « parler de » la forêt dans un contexte d’exposition.
Les tirages photographiques sur soie offrent des effets mouvants, au moindre souffle, au passage du visiteur, suggérant l’organicité du lieu, son mystère aussi. Car il y a dans la forêt une force d’attraction, quelque chose de l’ordre de l’indicible, du fantasmatique et de la fascination.
Pour aller un peu plus loin, mounir fatmi analyse le rapport de Mondrian à la forêt (on connaît l’intérêt que le peintre portait au motif de l’arbre) comme si, finalement, il en était resté à la lisière.
La forêt est un lieu fortement symbolique chargé de puissantes significations. Les forêts ont probablement été les premiers temples. Au Moyen-Age, les arbres pouvaient être objets de rituels d’adoration, c’est là aussi, barrière naturelle et inculte, que trouvaient refuge les païens, les proscrits, les fous, les persécutés...Car si la forêt peut parfois être perçue comme maternelle et protectrice, elle est aussi lieu d’envoûtement, de maléfices, de sortilège, avivant les analogies entre la nature sauvage et notre propre sauvagerie. Ramenant l'homme à ses origines, à ses racines, elle est susceptible de révéler notre part périlleuse d’ombre et de folie. Ainsi, le seuil de la forêt représente une frontière que l’on ne franchit pas impunément, au-delà de laquelle on se retrouve dans une épreuve face à des forces naturelles ou des démons qui ne sont au fond que les extrapolations de soi-même.
En 1843, le peintre anglais Richard Dadd assassine son père dans une forêt, convaincu que celui-ci était l’incarnation du Diable. Interné dans un hôpital psychiatrique, il entreprend de réaliser, durant neuf ans, The Fairy Feller’s Master-Stroke, œuvre obsessionnelle, fantasmatique et onirique, lacérée du fouillis des ramures de la forêt.
Cette œuvre, peu connue, est pour l’artiste objet de fascination. Car pour mounir fatmi, ce n’est pas un paradis perdu que l’homme contemporain, dans ses errements et ses débordements, pourrait retrouver dans la forêt – autrement dit, dans un illusoire retour à la nature- mais bien plutôt l’écho de ses enfers intimes.
Delphine Yafil, Février 2009.
* En 2006, mounir fatmi a reçu le W.F.C Uriôt Prize, permettant une résidence à la Rijksakademie van beeldende kunsten, Amsterdam, et la publication d’un ouvrage « Hard head l Tête dure »
|
|
This installation, presented for the first time as part of the "In search of paradise” exhibition at Galerie Ferdinand Van Dieten and at the Rijskakademie in Amsterdam, is the first proposition of a trope destined to develop in other subsequent forms.
Mondrian's Forest can be read at first sight as a piece on the elements of a formal vocabulary common to the two artists.
Indeed, in several cases – especially in certain configurations of "Obstacles” - mounir fatmi's work has a certain graphic and geometric semantics borrowed from the visual language of the precursors of Minimalism, including the De Stilj group and Piet Mondrian, in his later work. Blocks of primary colours (red, blue and yellow) are combined with black and white, which structure the lines of the coloured vision.
Thus these immense compositions of five metre high jumping poles, placed at an angle against the wall, express a sort of homage, or more precisely, an impulse of inspiration. Here mounir fatmi creates connections, enigmatic at first, between Mondrian's oeuvre and the forest. Close observation reveals a pictorial composition, in the lower half, that is similar to a well-known Mondrian, whereas in the upper half, the composition appears to be dismantled and deconstructed: it becomes – or harks back to - the original jumble of the forest. Along the same lines, the jumping poles – one of mounir fatmi's typical materials – remind us of their natural origins. They are made of wood and their verticality is reminiscent of trees' soaring upward momentum. They have solid strength of presence, but also a fragility, suggested by the broken bar.
The title of the installation, Mondrian's Forest, refers to the period of the Dutch artist that is little-known to the general public, and in particular to his first works that could be defined as academic. In some ways, through these jumping poles and throughout the installation, mounir fatmi offers a synthesis of how representative painting of nature gave way to the creation of a modern formal vocabulary. Representation of the outside world gave way to an autonomous and universal sphere of representation: a revolution of imagery, from "eternal nature” to modernity. The photograph of the undergrowth on silk, between the double representation of jumping poles reminds us of Mondrian's training. He was trained before nature, in the Dutch landscape tradition, and in particular in the tradition of the Hague landscapists, at the end of the 19th century. He then flirted with Cubism to arrive at the threshold of abstraction and a new plasticity.
It is, in fact, a drawing from Mondrian's naturalist period ("Woods near Oele”, circa 1906, pencil on paper, Gemeentemuseum, the Hague) that attracted mounir fatmi's attention and inspired his photograph on silk, as well as inspiring this art historical confrontation between a naturalist representation of the world and abstraction, minimalism, deconstruction and modernity.
Interested in the problematic of representing nature, the artist wonders how the representation of nature can be reintroduced into contemporary work today, and, as a sort of case study, how to "talk about” the forest in the context of an exhibition.
The photographic prints on silk give movement at the slightest breeze, as visitors pass by. This suggests the organic nature of the place, and also its mystery, as there is a force of attraction in the forest, something inexpressible, something fantastical and enchanting.
To take it further, mounir fatmi analyses Mondrian's relationship with the forest (the painter's interest in the motif of the tree is well-known) as if, in fact, he had stayed at the edge of it.
The forest is a highly symbolic place full of powerful significance. Forests were probably the first temples and in the Middle Ages trees could be ritual objects of adoration. These natural and uncultivated barriers also provided refuge for pagans, outcasts, the persecuted and the insane. Although the forest can sometimes be perceived of as maternal and protective, it is also a site of bewitchment, evil curses and spells, arousing analogies between savage nature and our own savagery. By bringing man back to his origins, to his roots, it is liable to reveal our dark side of peril and madness. So the threshold of the forest is not a frontier to be crossed lightly, beyond it we find ourselves tested by the forces of nature or demons, which, when it comes down to it, are nothing but extrapolations of ourselves.
In 1843, the English painter Richard Dadd murdered his father in a forest, convinced that he was the incarnation of the Devil. Interned in a psychiatric hospital, he spent nine years painting The Fairy Feller’s Master-Stroke, an obsessional, fantastical and dream-like, work, slashed with the forest's mass of branches. This little-known work is an object of fascination for the artist. For mounir fatmi, contemporary man, with his excesses and misguided ways, finds, not a lost paradise in the forest, not an illusory return to nature, but instead the echo of his intimate nightmares.
* In 2006, mounir fatmi received the W.F.C Uriôt Prize, which entailed a residence at the Rijksakademie van beeldende kunsten, Amsterdam, and the publication of the work "Hard head/ Tête dure”
Delphine Yafil, February 2009.
Translation: Caroline Rossiter.
|