D’emblée, l’installation Va et attends moi s’active dans la confrontation visuelle entre un objet – une tombe faite de cassettes VHS, matériau de référence chez l’artiste, dont les films dévidés forment un environnement organique- et la phrase inscrite au mur, injonction énigmatique, prophétique : « Leave and wait for me, I will arrive » (« Va et attends moi, j’arrive ») qui, dans un tout autre contexte, prendrait un tour de banalité quotidienne. Ici, la dramaturgie de la scène s’enracine dans cette interaction, dans ces tensions visuelles et sémantiques entre les mots et l’image.
Cette installation s’inscrit dans la continuité de deux autres œuvres : Gardons espoir, dont elle semble, avec une pointe d’ironie, être la suite logique et, de manière plus inattendue, Tête dure, dont l’artiste a réalisé plusieurs versions depuis 2005. Cette peinture murale monumentale représentant un crâne dans l’esprit de l’ancienne phrénologie, est calligraphiée d’une transcription libre d’un fragment de la Sourate Az-Zumar, 39.9 posant la question suivante : Se ressemblent-ils ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
Ce qui est donc en jeu ici, fondamentalement, c’est l’absence.
Absence du savoir, d’abord. Dans Tête dure, l’écriture calligraphique parcourue comme un labyrinthe, pour ceux qui ne savent pas lire l’arabe, donnait à l’œuvre une beauté d’autant plus énigmatique que, de fait, le sens profond de l’œuvre échappait. Dans Va et attends moi, le sens de l’injonction reste ambivalent et renvoie à la finitude du savoir, intimement liée à la finitude de la condition humaine. Pour mounir fatmi, le problème du savoir est intimement lié à celui de la mort : ceux qui « savent », savent ce qu’il y a « de l’autre côté », savoir auquel ni la science, ni la religion ne peuvent prétendre, si ce n’est en se réfugiant dans la foi, hors des territoires de la raison.
Si mounir fatmi opère ici un examen critique de notre capacité de connaître, en butte à des questionnements dépassant toute expérimentation possible, Va et attends moi semble aussi s’apparenter à une manière de s’approprier le « apprendre à mourir » platonicien, qui postule l’immortalité de l’âme comme un beau risque à courir...un pari qui peut être perdu, ce qui n’est pas sans faire penser à certaines estampes des dernières périodes de Goya. Dans Nada. Ello dirà, un cadavre tient dans sa main décharnée un message adressé depuis l’au-delà: «Nada», il n’y a Rien.
La sépulture, muette, et cette phrase, dans son mystère, comme un appel, un écho d’outre-tombe, laissent intacts les non dits, non vus, non sus, relevant autant de l’inconnu que de la réalité même de l’incomplétude humaine. « Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face », écrivait Jankélévitch*. La tombe est l’expression de la dimension métempirique de l’évènement de la mort en même temps qu’un objet « familier », elle désigne le monde flottant entre la présence et la mémoire, la disparition des êtres et la persistance des choses.
Sa vision réactive ce paradoxe d’une loi de la nature qui pour nous n’en finira jamais d’être un scandale, le scandale et la tragédie de la mort de l’autre.
Va et attends moi n’est pas un memento mori ordinaire, procédant d’une fascination morbide curieusement dans l’air du temps. Cette œuvre est pour mounir fatmi une porte d’entrée vers une réflexion à la dimension éthique et vitaliste.
En définissant la vie comme ensemble des fonctions qui résistent à la mort, l’anatomiste du 18ème siècle Xavier Bichat affirmait déjà la prééminence de la mort sur la vie, autrement dit la mort, ou le non-être, est la règle et la vie l’exception. Ce qui importe, pour l’artiste, est que la vie soit par essence résistance. Une fois admis que la « conscience malheureuse » constitue le prix à payer de notre humanité, il reste à l’homme contemporain la liberté de choisir l’action. « Va » ou « Attends ». Pour l’homme sérieux qui a compris que la mort est une invite à l’action « aucune tâche n’est insignifiante, aucun moment n’est trop court (...) La mort est une source d'énergie comme nulle autre; elle rend vigilant comme rien d'autre. »**. Ce désir, et cette résistance, en deçà de leurs expressions plastiques influencées par les pensées post-structuralistes ou par de puissantes convictions politiques, sont au cœur du travail de mounir fatmi.
Marie Deparis, Février 2009.
* Vladimir Jankélévitch - La mort- Coll. Champs Ed Flammarion
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At first sight, the installation Leave and wait for me is a visual confrontation between an object – a tomb made of VHS cassettes, a reference material for the artist, using the unwound film to form an organic environment – and a phrase written on the wall. This enigmatic, prophetic injunction: “leave and wait for me”, would in any other context, seem banal. Here the drama of the scene takes root in this interaction and in the visual and semantic tensions between words and image.
This installation is in line with two other works: it seems, with a touch of irony, to be the next logical step after Keeping faith, and in a more unexpected way, Hard head, of which the artist
has made several versions since 2005. The latter, a monumental wall painting representing a skull, in the style of ancient phrenology, bears the calligraphy of a free transcription of the Surah Az-Zumar, 39.9. It asks: are those who know and those who don’t know alike?
Fundamentally what is at stake here is absence. Firstly absence of knowledge. The calligraphy in Hard head, which is skimmed over like a puzzle by those who cannot read Arabic, makes the piece all the more enigmatically beautiful, as the profound meaning of the work escapes us. The sense of the phrase, Leave and wait for me, remains ambivalent and refers to the finiteness of knowledge, intimately linked to the finiteness of the human condition. For mounir fatmi, the problem of knowledge is inextricable linked to the problem of death: those who “know”, know what there is “on the other side”. This is knowledge that can be claimed by neither science nor religion, as long as they take refuge in faith beyond the domain of reason.
If mounir fatmi is operating a critical test of our capacity for knowledge in the face of questions that exceed all possible experimentation, Leave and wait for me also seems linked
to a way of appropriating Plato’s “learning to die”. This idea supposes the immortality of the soul is a good bet.... but not a sure one, which calls to mind some of Goya’s later etchings.
In Nada. Ello Dirà a corpse holds a message in his emaciated hand, sent from the other side: “Nada”, there is Nothing.
The silent grave and this mysterious phrase, like a call, an echo from beyond the grave, leave room for the unsaid and the unseen, revealing the unknown as much as showing the reality of human lack of fulfilment. “Neither the sun nor death can be looked at head on”, wrote Jankélévitch*. The tomb is an expression of the metempirical dimension of the event of death as well as a “familiar” object. It refers to the world floating between presence and memory, the disappearance of beings and the persistence of things.
The vision of it revives the paradox that a law of nature can still remain scandalous to us: in the scandal and tragedy of another's death.
Leave and wait for me is not an ordinary memento mori coming from a morbid fascination that is curiously zeitgeist. It is an entry point, for mounir fatmi, to the contemplation of an
ethical and vitalist dimension. By defining life as an ensemble of functions that resist death, the eighteenth century anatomist Xavier Bichat already maintained the pre-eminence of death over life, in other words death - or non-being - is the rule and life the exception. What is important for the artist is that life is, in essence, resistance. Once we accept that the “unhappy conscience” is the price to be paid for our humanity, the liberty for contemporary man to choose his action remains. “Go” or “Wait”. For a serious man who has understood death as an invitation to action “no task is insignificant, no moment is too short (...) Death is a source
of energy like no other; it makes you vigilant like nothing else.”**. This desire and this resistance - beyond their formal expression influenced by post-structuralist thoughts or by
powerful political convictions – are at the heart of mounir fatmi's work.
Marie Deparis, February 2009.
Translation: Caroline Rossiter.
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