Le long d’un mur, huit balais sont alignés les uns aux côtés des autres. La brosse de chaque balai, légèrement avancée, produit un léger effet de déséquilibre au sein de l’installation. Les huit brosses forment au sol un losange, écho à la forme des morceaux de tissus colorés placés en haut de la hampe du balai. Les couleurs de ces tissus ne sont pas atonales puisque leurs différentes compositions font écho aux drapeaux américain, japonais, anglais, français, italien, canadien et russe. L’artiste tend à montrer comment le pictural peut parvenir à générer un discours autosuffisant oubliant de facto que l’œuvre se nourrit d’une esthétique interne. Car effectivement, qu’est ce qu’un drapeau si ce n’est une étoffe attachée à une hampe et portant les couleurs d’une nation ? Le signifié G8 associé à l’image acoustique « ballet » crée une situation de rupture qui se révèle instructive quant à l’équilibre définitionnel de l’œuvre. Les dimensions formelle et utilitaire des drapeaux et balai s’additionnent au questionnement politique au profit d’une interprétation critique du pouvoir et des rapports de forces qui se développent de concert sur la scène internationale. Ainsi, la polyphonie du mot « balai » devenu « ballet » présuppose une orchestration des territoires par le G-8. Le balai est cet ustensile qui permet de débarrasser la maison des ordures. En somme, le drapeau comme le balai sont assimilables à une métonymie et à une métaphore de la terre à défendre ou à investir, du sol à protéger ou à défricher. Il existe donc une symétrie discursive entre cette seconde peau nationale, d’un espace géopolitique de référence et le balai qui est le lieu d’inscription de l’intime, du secret, du foyer. Superposer le drapeau au balai consiste de façon littérale à « mettre de l’Etat chez soi » et transcrit de façon métaphorique, à mettre de l’ordre chez soi, à y faire du rangement. Evidemment, ce bricolage sémiotique confère à l’œuvre une posture « transfrontalière ». Le territoire de l’œuvre d’art, dans sa composante formelle, est traversé par le familier, le local, le national, l’international. L’œuvre dans son apparente extension erotico-virile s’est totalement abandonnée au dictat de la domination sociale et de sa structuration. L’association des deux objets est une manière de permettre des allers-retours entre les sphères publique et privée. L’intime, le précieux est ainsi mis à nu et exposé « haut en couleur ». Cette beauté du sacré (le drapeau) mélangée au profane (le balai) n’accuse t-elle pas, de façon sous-jacente, l’esthétisation des politiques devenues des ersatz illusionnistes ? Et si la visagéité de la politique contemporaine était au demeurant plus esthétique et plus plastique, plus superficielle et gazéifiée ? En définitive, si la politique tout comme l’art était devenu en soi une véritable expérience esthétique qui contribuerait à l’artialisation de notre quotidien ? Confortant son œuvre toute entière dans le primat de l’adéquation mentale de signifiés et de signifiants, Mounir Ftami fait de son œuvre « G8-Les balais » un continuum entre le Territoire, l’Identité, la Frontière, l’Histoire, la Société, la Politique, les Relations humaines, les Rapports de force, l’Objet, la Domination, l’Homme, la Femme, le Foyer, l’Intimité, le Sexe, la Vie et la Mort.
Disons que le drapeau est ce qui unit les hommes d’un même territoire par delà leurs origines culturelles. Il est ce qui crée la cohésion d’un peuple même multiculturel.
Jessica Oublié
Yves Michaud dans « L’art à l’état gazeux : essai sur le triomphe de l’esthétique » explique que la disparition de l'œuvre d'art, s'incarne désormais par des états gazeux et évanescents, dans des "installations", des "performances", des "expériences esthétiques", et non plus sous forme d'objets concrets, qu'on contemple avec religiosité dans les musées. L’art est à l'état gazeux a connu un processus de volatilisation, il relève plutôt du domaine des expériences sensibles. On passe d'un art de l'objet à un art de l'expérience, d'un art de la contemplation absorbée à un art de la réception.
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Along the wall, eight brooms are lined up next to each other. The brush of each broom, brought forward slightly, gives the installation an air of instability. The eight brushes form a lozenge on the ground, echoing the form of the coloured pieces of fabric placed at the top of each broom pole. The colours of the fabric are not atonal as their different compositions resemble the American, Japanese, English, French, Italian, Canadian and Russian flags. The artist strives to show how the pictorial manages to generate a self-sufficient discourse, forgetting that de facto the work feeds on an internal aesthetic. For indeed, what is a flag if not material attached to a pole bearing a nation's colours? The signified G8, associated with the play on words of the French title (the French word for broom “balai” is pronounced in the same way as “ballet”) fractures our perception of the piece and helps us to rebalance its definition. The formal and utilitarian dimensions of the flags and brooms are added to the political questions raised and the critical interpretation of power and the balances of power developing on an international scale. Thus the polyphony of the French word for broom, “balai”, which becomes “ballet” presupposes the G8's orchestration of territories. The broom is a utensil that rids the house of dirt. In sum, the flag and the broom are comparable to a metonymy and metaphor for land to be defended and taken over, for soil to be protected or cleared. There is thus a discursive symmetry between this second national skin - a geopolitical space of reference - and the broom which is representative of an intimate, secret and homely space. Superimposing the flag and the broom is a literal way of “bringing the state home” and metaphorically translates as getting one's home in order and tidying up. Obviously this semiotic makeshift construction gives the work a “cross-border” position. The territory of the piece, in formal terms, is shot through with the familiar, the local, the national and the international. The work, in its apparent erotico-virile extension completely abandons itself to the diktat of social domination and structuring. The combination of two objects is a way of allowing a mental back and forth between the public and private spheres. The intimate, the precious is thus stripped and exposed in all its colours. Doesn't this beauty of the sacred (the flag) mixed with the profane (the broom) implicitly incriminate the aestheticization of politics which has become a substitute illusion? And what if the face image of contemporary politics were, for all that, more aesthetic and more visual – more superficial and aerated? At the end of the day, what if politics – like art – became a veritable aesthetic experience in itself, contributing to the artialisation of our day to day? Consolidating his complete oeuvre in the primacy of the mental adequacy of signifieds and signifiers, mounir fatmi makes his piece “G8 – the brooms” a continuum between territory, identity, borders, history, society, politics, human relations, balances of power, object, domination, man, woman, home, intimacy, sex, life and death. It could be said that the flag is what unites men from the same territory beyond their cultural origins. It is what creates cohesion of a people, even multicultural.
Jessica Oublié
In « L’art à l’état gazeux : essai sur le triomphe de l’esthétique » (“Art in a gaseous state: essay on the triumph of the aesthetic”), Yves Michaud explains that the disappearance of the work of art is from now on played out in gaseous and evanescent states, in “installations, performances and aesthetic experiences”, and no longer in the form of concrete objects, which are given religious attention in museums. Art in its gaseous state has seen a process of evaporation, coming under the category of sensitive experience. We are moving from the art of the object to the art of experience, from an art of contemplation to an art of reception.
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