L’installation History is not mine met en scène à la fois la vidéo mais aussi tout un dispositif regroupant une table, une machine à écrire, des marteaux, des feuilles blanches et un livre noir avec un trou au milieu attaché à un morceau de bois formant le jeu bilboquet poussant ainsi l’absurde à son maximum. La vidéo montre un homme, dont le visage n’est jamais visible, frappant sur une machine à écrire avec deux marteaux. Seul le ruban de la machine est coloré d’un rouge vif, sanglant, dans un télescopage de « la beauté de la phrase à écrire avec la violence et la difficulté de sa réalisation. »1. Les textes issus de cette performance sont encadrés et présentés au mur comme des documents d’archives. Par cette installation, mounir fatmi nous plonge à la fois dans le rôle de témoins et puis celui de complices, ainsi le spectateur, est presque partie prenante de l’écriture de cette histoire.
L’ensemble de l’installation peut être considérée comme une réponse directe au festival d’art le « Printemps de Septembre de Toulouse (2012), dont le titre était L’Histoire est à moi. À cette occasion, l’installation Technologia, mêlant des versets coraniques circulaires à des éléments inspirés des Rotoreliefs de Marcel Duchamp, avait été retirée après une décision prise par l’organisation du festival et l’artiste suite à des incidents provoqués par le public. Le fait que les versets du Coran aient été projetés sur la chaussée d'un pont et que le spectateur puisse marcher dans l’installation avait conduit à de violentes protestations de la part de groupes musulmans. La même année la vidéo Sleep Al Naïm hommage à Salman Rushdie est censurée à son tour à l’Institut du Monde Arabe à Paris, à l’occasion de l’exposition 25 ans de créativité arabe. Ces événements ont marqué le plasticien et engendré tant une prise de conscience qu’une grande déception.
Dans la vidéo, le geste simple et banal de frapper sur un clavier devient écrasant par l’utilisation des marteaux. Ce poids s’abattant sur les touches provoque une intonation grave et violente. Ces effets, accentués par le son caractéristique de la machine à écrire, rappellent aussi le tic-tac d’une horloge ou les tirs d’une mitraillette. Symbolisant ainsi le temps qui passe et l’histoire qui échappent. L’artiste donne à réfléchir sur la posture de chacun à adopter vis-à-vis de l’histoire. Si par le titre de l’œuvre, il est évident qu’un sentiment d’impuissance se dégage, les prises de vues en plongée récurrente mettent en avant un sentiment de domination. Par cette mise en scène, une sorte de quatrième mur s’effondre.
Par le montage video et la possibilité d’envisager physiquement les accessoires, le spectateur a donc un regard intérieur et extérieur sur l’intégralité de l’œuvre. De ce fait, en ne montrant jamais le visage de l’homme tapant à la machine, mounir fatmi encourage le spectateur à s’identifier à sa propre expérience. Tout à chacun étant à la fois partie prenante de cette histoire en train de s’écrire mais aussi de la violence de ses marteaux de l’impossibilité d’écrire quelque chose de cohérent avec.
Dans son texte de présentation de l’installation « History is not mine » à l’exposition « Giving Contours to shadows » au centre d’art N.B.K. à Berlin en 2014, Verena Straub2 écrit : « L'histoire est souvent écrite avec des armes. Dans le cas de l’installation de Mounir Fatmi elle est frappée avec deux marteaux sur une machine à écrire. Sous l'éclatement de coups, les lettres métalliques sont imprimées avec force sur le papier. S’ajoute un charabia illisible qui est moins que le texte à lire qu’une trace d'agression. Qui est «propriétaire » de l’histoire? Qui a les marteaux à la main ? Cette histoire est étroitement liée à la puissance hégémonique, qui a été étudiée par les représentants des études postcoloniales dans de nombreux cas. Le travail de Fatmi montre finalement que l'histoire est toujours un palimpseste de l'écriture, la censure, est également la réécriture. À savoir, celui qui va bien au-delà des discours familiers des études postcoloniales.
1-Charles Dannaud, Mounir Fatmi à Londres, Les Limites de l’Histoire, ArtsHebdoMedias, 08 Mai, 2013
2- Verena Straub, publié dans le contexte de l'exposition Giving Contours to shadows, au N.B.K. Mai 2014
Studio Fatmi, novembre 2014.
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The installation “History is not mine” features not only an eponymous video, but also a display of various objects, “props,” that appear within it: a type-writer, some hammers, typed sheets of paper, and a black book with a hole in the middle, attached to a piece of wood creating a kind of absurdist game of bilboquet… The video shows a man, whose face we never see, hitting a type-writer with two hammers. A bright red type-writer ribbon provides the only touch of color and underscores the essential conflict between “the beauty of the written word and the violence and difficulty of writing it.” The text produced by this performance is framed and presented on the wall as though it were archival material. With this installation mounir fatmi interrogates not only the role of those who witness history, but also that of those complicit in writing it – and both roles are made incarnate in the spectator.
This installation piece can be understood as a direct response to the 2012 edition of the “Printemps de Septembre” art festival in Toulouse, France, titled “L”Histoire est à moi (History is mine).” During the festival, one of fatmi’s installations, “Technologia,” which mixes circular Coranic verses with elements inspired by Marcel Duchamp’s Rotoreliefs, was the subject of several incidents involving the public and was ultimately removed in a joint decision by the festival and the artist. The verses had been projected onto the side-walk of a bridge, allowing the public to literally walk through the installation. This provoked violent protests from several Muslim groups. Later the same year, another piece — the video “Sleep Al Naïm,” an homage to Salman Rushdie — was censured by the Institut du Monde Arabe in Paris, where it was due to be part of an exhibition celebrating 25 years of creativity in the Arab World. These events had a profound effect on fatmi, eliciting at once deep disillusionment and a crisis of conscience.
In the video, the simple and banal gesture of typing is transformed by the hammers into an unbearably weighty act. The crash of the hammers raining down on the keys creates a violent drone of sound, a kind of amplification of the characteristic gentle clicking of a type-writer. The sound is also redolent of the tick-tock of a clock or the crack of a machine gun volley, symbolizing at once that time is passing and that History is disappearing along with it. With this piece, fatmi reflects on the posture that each of us adopts vis à vis History. If the title of the piece betrays a feeling of powerlessness, the spectator is given a de-facto position of power due to the high angle shot used to film the video. In this way, the piece destroys the fictional fourth wall between the spectator and the performance, spectator becomes actor.
The editing of the video and the presence of the props, laid out for examination, allows the spectator to have both an internal and external perception of the piece. By refusing to show the face of the man typing, fatmi allows the spectator to take his place, thereby making the act personal. Each player in this story is a participant in the History that is being written, but also in the violence inflicted by the hammers and the impossibility of writing something coherent with such tools.
In her presentation of the installation “History is not mine” as part of the 2014 exhibit “Giving Contours to Shadows” at the N.B.K. art center in Berlin, Verena Straub writes, “History is often written with weapons. In the case of Mounir Fatmi’s installation, it is pounded out with two hammers on a type-writer. Under the blows, metallic letters are printed with force onto a sheet of white paper… The resulting gibberish is less a text to be read than a mark of aggression. Who “owns” history? Whose hand is wielding the hammers? This vision of History is born of post-colonialist theories of hegemonic power. Fatmi’s work reminds us that ultimately History is but a palimpsest: written, censured, re-written. His re-writing goes well beyond the familiar discourse of the post-colonialists.”
1-Charles Dannaud, Mounir Fatmi in London, Les Limites de l’Histoire/The limits of History, ArtsHebdoMedias, 08 Mai, 2013
2- Verena Straub, for the exhibition Giving Contours to shadows, at the N.B.K. Mai 2014
Studio Fatmi, november 2014.
Traduit du français par Hillary Keegin.
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