Autour du même projet.
« Face au silence » est une installation multimédias qui associe photographie, vidéo, sculpture et écriture poétique. Une photographie d'archive montre l'intérieur d'une voiture conduite par le roi Hassan II, à l'arrière de laquelle se trouve également Mehdi Ben Barka, principal opposant au régime marocain, enlevé à Paris en 1965, et dont le corps n'a jamais été retrouvé. Contraint à quitter le Maroc en 1963, Mehdi Ben Barka fait route à travers l'Egypte, l'Algérie, l'Italie, la Suisse ou La Havane, exil au cours duquel il croise Che Guevara, Amilcar Cabral et Malcolm X, tout en échappant à plusieurs tentatives d'assassinat. Son enlèvement a été l'objet d'enquêtes et de procès qui n'ont jamais permis de résoudre complètement l'affaire, mais qui ont cependant clairement démontré l'implication des pouvoirs politiques marocains et français. Une vidéo performance est projetée sur les murs. Elle fait apparaître l'artiste se tenant immobile, devant l'objectif de la caméra, à côté de la brasserie Lipp du 6e arrondissement de Paris, lieu précis de l'enlèvement de Ben Barka. La sculpture se compose d'une figurine de petite taille placée au centre d'un piédestal circulaire blanc au large diamètre. La statuette est revêtue d'une tenue de matador, épée dans une main et muleta rouge dans l'autre, marquée par le symbole étoilé du drapeau marocain. L'inscription enfin est tirée du manifeste de mounir fatmi : « Au fond de la bouche, la langue n'est qu'un muscle. Le silence aussi. »
L'installation s'interroge : que faire face à la censure et au silence imposé par les autorités politiques? Que faire également face à l'absence de l'opposant au régime disparu et réduit au silence? Elle traite à la fois la question de la censure exercée par les pouvoirs politiques et celle de l'héritage intellectuel laissé par les mouvements de libération démocratiques ou les grandes figures historiques de la résistance et de la révolution. Les transformations sociales sont un thème fréquemment abordé par les œuvres de mounir fatmi, qui se retrouve notamment dans les projets artistiques autour du parti des Black Panthers, ou encore des Printemps Arabes. Les œuvres qui naissent de ces projets s'appuient sur les témoignages directs des protagonistes ainsi que sur des documents d'archives. Elles interrogent le devenir des idéologies révolutionnaires et observent leurs effets sur les organisations sociales.
Contre les interdictions de s'exprimer, l'absence ou la disparition, l'installation multiplie les voix et les points de vue. Témoignage, elle montre et nomme clairement et simplement les faits, les protagonistes et les lieux, réalité que les pouvoirs politiques ne sauraient escamoter. Devoir de mémoire, elle lutte contre l'oubli en relayant l'information à partir de documents d'archives, et évoque le souvenir du disparu avec une insistance qui confine au défi lancé aux pouvoirs. La vidéo met en scène mounir fatmi face à l'objectif de la caméra. En réponse au silence et à la censure, celui-ci prend le parti de faire face. L'œuvre exprime une double identification par solidarité et affirmation de son désir propre : à la figure de l'opposant politique d'une part, engagé dans une lutte de terrain, aux prises avec le réel, à la figure du matador ensuite : engagé dans un combat symbolique et artistique, humain et poétique.
L’installation a été inscrite en 2014 au programme de l'exposition « Cent ans de création au Maroc », exposition inaugurale du musée d'art contemporain Mohammed VI à Rabat. Elle ne fut finalement visible dans sa totalité que quinze jours plus tard, après les protestations nombreuses de l'artiste et du public, et se vit complétée de la présence d'un agent de sécurité chargé d'empêcher les photographies de l’œuvre. Les artistes marocains rappellent pour leur part que la censure exercée par le pouvoir est toujours d'actualité dans le pays : « Pour un créateur qui vit au Maroc, il y a toute une liste de sujets impossibles à aborder, en premier lieu l’histoire du Maroc et la politique actuelle. Le régime est changeant, insaisissable. Chaque fois qu’il y a un pas en avant, il y a aussi deux pas en arrière. » (mounir fatmi. Le monde, 2015)
Studio Fatmi, Fevrier 2018.
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More information.
« In the Face of Silence » is a multimedia installation combining photography, a video, a sculpture and poetic writing. An archive photography shows the inside of a car driven by king Hassan II, with in the backseat Medhi Ben Barka, a major opponent to the Moroccan regime, abducted in Paris in 1965 and whose body was never found. Forced to leave Morocco in 1963, Mehdi Ben Barka traveled through Algeria, Egypt, Italy, Switzerland and Havana, an exile during which he met Che Guevara, Amilcar Cabral and Malcolm X, while escaping several assassination attempts. His abduction was the object of several inquiries and trials, but none were ever able to completely solve the case, though they did clearly demonstrate the implication of Moroccan and French authorities. A performance video is projected on the walls. It shows the artist standing still in front of the camera, next to the Brasserie Lipp in Paris’ 6th arrondissement, the place of Ben Barka’s abduction. The sculpture comprises a small size figurine placed in the center of a large, white circular pedestal. The statuette is dressed in a matador’s outfit, a sword in one hand and a red muleta in the other, with the star of the Moroccan flag on it. As for the inscription, it is taken from mounir fatmi’s manifest: « In the back of the mouth, the tongue is nothing but a muscle. Silence too. »
The installation wonders: what can be done in the face of the censorship and silence imposed by political authorities? What to do faced also with the absence of an opponent who has disappeared and been reduced to silence? It addresses simultaneously the question of the censorship exercised by political powers and that of the intellectual heritage left by democratic liberation movements and the great historic figures of resistance and revolution. Social transformations are a subject frequently treated in mounir fatmi’s work, for example in his artistic projects around the Black Panthers party or the Arab Springs. The works that emanate from these projects are based on the direct testimony of protagonists as well as on archive documents. They examine the evolution of revolutionary ideologies and observe their effects on social organizations.
Against the banning of free speech, against absence and disappearance, the installation multiplies voices and points of view. As a work of testimony, it shows and lists with clarity and simplicity facts, protagonists and places, a reality that political powers simply can’t make disappear. Applying our duty never to forget, it fights oblivion by transmitting information found in archive documents and evokes the memory of the disappeared with an insistence that challenges the powers that be. The video shows mounir fatmi facing the camera. As a response to silence and censorship, he chooses to face up. The work expresses a double identification through solidarity and the affirmation of its own desire: with the figure of the political opponent on one hand, engaged in a battle on the field, anchored in reality, and with the figure of the matador on the other, engaged in a battle that is symbolic and artistic, human and poetic.
The installation was included the program of the 2014 exhibit « One Hundred Years of Creation in Morocco », the inaugural exhibition of the Mohammed VI Museum of Contemporary Art in Rabat. In the end, it was only visible in its entirety two weeks later, following numerous protestations from the artist and the public, and was completed with the presence of a security agent in charge of preventing people from taking pictures of the work. Moroccan artists, for their part, remind us that censorship exercised by the authorities is still a reality in the country today: « For a creator living in Morocco, there is a whole list of subjects that are impossible to touch upon, the first of which being the history of Morocco and contemporary politics. The regime is unpredictable and elusive. For every step forward, there are two steps back. » (mounir fatmi in Le Monde, 2015)
Studio Fatmi, February 2018.
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