La vidéo « Face, les 99 noms de Dieu » égrène une à une les 99 appellations divines figurant dans les écrits religieux, couramment recensées par la théologie musulmane, et les fait se succéder à l'écran par une technique de fondu enchaîné. La croyance veut que leur récitation soit bénéfique pour le fidèle qui s'y applique et qu'elle lui permette d'accéder à la perception de l'essence divine. Au premier plan, la vidéo fait se succéder les noms dans leur graphie occidentale, accompagnés de leur traduction. L'arrière plan se constitue d'un fond vert où ils apparaissent en lettres arabes calligraphiées. La vidéo s'ouvre et se ferme sur deux citations, l'une de Spinoza, extraite d'une lettre adressée à un contradicteur : Si les triangles faisaient un Dieu, ils lui donneraient trois côtés, et l'autre tirée de « La Conférence des oiseaux », recueil de poèmes soufi composé en 1177 évoquant la recherche mystique et la quête du moi profond : Et tout mon corps a du se faire œil, et puis cet œil être aveuglé : par quelle merveille n'y vois-je que depuis que je suis aveugle?
La vidéo interroge la nature du divin à partir de ses dénominations et de ses représentations sous une forme linguistique ̶ forme stylisée dans le cas de l'écriture calligraphique. L'œuvre étudie des aspects linguistiques particuliers de la dénomination et questionne les rapports entre le « signe » (ou l'image) et la « signification », entre le « langage » et la « réalité » de la chose ou du phénomène désignés.
L'étude linguistique menée revêt les allures d'une liste. Elle mime la démarche mystique qui consiste à réciter chacun des noms, comme progression vers la connaissance de l'essence divine et acquisition une à une des qualités que le croyant s'efforce de faire siennes. Elle s'en tient à un procédé de progression minimaliste, dont la simplicité contraste pourtant avec la complexité des approches linguistiques et philosophiques des notions de « nom » et de « dénomination ». Le nom propre, en particulier, pose régulièrement problème aux linguistes, dans la mesure où celui-ci ne possède pas de référent qui lui soit nécessairement associé. Le nom propre, qui semble désigner l'essence même de la chose, n'a paradoxalement aucune référence stable dans la réalité. Ne reposant nullement sur une quelconque détermination perceptive, il n'offre pas d'image mentale ou de correspondance avec un concept et ne renvoie donc qu'à lui-même. La vidéo se permet ainsi de jouer avec la notion pré-linguistique de cratylisme, qui suppose que le nom révèle la nature de l'objet désigné et celle d'arbitraire du signe, mise au point par les sciences du langage au 20e siècle, qui réfute toute relation de nécessité entre le signe et ce à quoi il renvoie dans la réalité. Elle met ainsi en évidence les mécanismes à l'œuvre dans l'élaboration des représentations du divin, relevant de phénomènes de projections et d'anthropomorphismes. Elle prend en compte également l'aniconisme islamique qui a vu se développer les représentations du divin à partir de l'interdit de la figuration de dieu et a donné naissance à la calligraphie, dont le tracé se tient à la frontière entre le signe linguistique et l'image et qui se constitue comme un espace de méditation scopique et de projection mentale.
La vidéo « Face, les 99 noms de Dieu » : tenant en quelque sorte du ruban de Möbius en topologie, les noms divins qui composent le visage multi facettes du divin sont des objets à une seule face où signifié et signifiant apparaissent mêlés et indissociables. La vidéo « Face, les 99 noms de Dieu », exercice de visualisation autant que d'aveuglement, s'attache à observer des signes visuels qui ne renvoient qu'à eux-mêmes et qui pourtant permettent d'explorer nos rapports aux représentations, à la signification et à l'idée de transcendance.
Studio Fatmi, Décembre 2017.
vidéo distribuée par Heure exquise ! www.exquise.org
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The video « Face, the 99 Names of God » lists the 99 designations of God as they can be found in religious scriptures and as commonly inventoried by Islamic theology, and shows them one after the other on the screen, using the technique of crossfading. The belief is that reciting these 99 names is beneficial for the faithful who make the effort and that it allows them to access the perception of the essence of divinity. In the foreground, the video shows the names written in western alphabet, along with their translation. The background is a green backdrop where the names appear written in Arabic calligraphy. The video begins and ends with two quotes, one from Spinoza, taken from a letter to a contradictor: “If triangles created a God, they would give him three sides”, and another taken from The Conference of the Birds, a collection of Sufi poems written in 1177 about the mystical quest for inner self: “And my whole body had to become an eye, and that eye was blinded: by what wonder do I only see since then that I am blind?”
The video questions the nature of the divine based on its denominations and its representations in linguistic form – a form that is stylized in the case of calligraphic writing. The work studies certain particular linguistic aspects of denomination and questions the relations between “sign” (or image) and “meaning”, between the “language” and the “reality” of the designated object or phenomenon.
This linguistic study takes the form of a list. It emulates the mystical process consisting in reciting each of the names, which is akin to a progression towards getting to know the essence of divinity and the acquisition of all the qualities the believer strives to make his own. It remains a process consisting in a minimalistic progression, whose simplicity contrasts with the complexity of the linguistic and philosophical approaches of the concepts of “name” and “denomination”. Proper nouns in particular regularly pose problems to linguists, as they don’t possess a referent necessarily associated to them. A proper noun, though it seems to designate the very essence of a subject, ironically doesn’t have any stable reference in reality. As it isn’t based on any perceptive determination, it doesn’t offer a mental image or any correspondence with a concept; it therefore only relates to itself. The video allows itself to play with the pre-linguistic notion of Cratylism, which implies that the name reveals the nature of the designated object, and of the arbitrariness of signs, as established by 20th century language science, which rejects any relation of necessity between the sign and what it designates in reality. In this way, it highlights the mechanisms at play in the elaboration of the representations of the divine that have to do with phenomena of projections and anthropomorphism. It also takes into account Islamic aniconism, which developed representations of the divine stemming from the ban on the image of god and gave birth to calligraphy, whose tracing sits on the border between linguistic, signs and images and which constitutes a space for scopic meditation and mental projection.
The video « Face, the 99 Names of God » is in a way reminiscent of a Möbius strip: the divine names that compose the multi-faceted face of divinity are single-facet objects where signified and signifier are combined and inseparable. The video « Face, the 99 Names of God » is an exercise of visualization as much as of blindness. It aims to observe visual signs that only relate to themselves, but that could allow us to explore our relation to representations, significations and the idea of transcendence.
Studio Fatmi, December 2017.
Video distributed by Heure exquise ! www.exquise.org
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