« Tous les médias sont des extensions de certaines facultés humaines, psychiques ou physiques »
(Marshall McLuhan, The Medium is The Message, 1967)
La vidéo The White Matter propulse son personnage principal dans le décor d’une forêt végétale. Un homme seul, apparaissant d’abord de dos, se tient accroupi au milieu d’un tas de livres déchirés et de pages de livres arrachées. Le personnage se dresse sur ses jambes et se met à jongler avec les livres qui jonchent le sol, se baisse à chaque fois que les livres lui échappent des mains et tombent, avant de se remettre à jongler. De temps à autre, les images d’une opération chirurgicale viennent interrompre la scène forestière. On y distingue des mains expertes de chirurgiens, pratiquant une opération sous anesthésie générale, explorant à l’aide de leurs outils chirurgicaux les chairs d’un patient plongé dans un sommeil artificiel.
Une musique aux sonorités inquiétantes rythme l’alternance des séquences qui revêt un caractère dramatique, renforcé par une série d’oppositions : l’espace ouvert de la forêt contraste avec l’espace clôt du bloc opératoire ; la luminosité du décor végétal s’oppose à l’obscurité dans laquelle baigne l’espace technologique du bloc ; la vision du corps entier et intègre du jongleur en mouvement, s’oppose à celle, parcellaire, du corps immobile opéré. Les gestes imprécis et anarchique du jongleur contrastent avec les gestes précis des chirurgiens. Les plans larges avec les plans resserrés. L’écran se divise parfois en plusieurs rectangles numérotés, comme sur les écrans de surveillance des services de sécurité. Cet auto-signalement du système vidéo participe lui aussi à la mise en scène en créant une attente chez le spectateur, suscitant la crainte qu’un événement inattendu survienne.
Dans cette vidéo mounir fatmi étudie l’impact des nouvelles technologies sur la mémoire tout en questionnant l’obsolescence du médium. L’évolution du progrès technoscientifique a conduit à la rapide substitution du support analogique qui s’est vue dépassé par une image numérique, la société devenant de plus en plus virtuelle. L’artiste fait ainsi revivre ces outils anachroniques autrefois glorifiés, comme les livres, afin d’interroger cette révolution de l’image et du support qui a profondément modifié notre perception du monde et déformé notre mémoire. Le titre de la vidéo fait référence à la substance blanche présente dans notre cerveau, responsable de la propagation des informations dans le système nerveux. A l’instar des réseaux racinaires des arbres, cette catégorie de tissu est composé de millions de câbles de communication, chacun contenant un long fil unique, l’axone, entouré d’une substance blanche, la myéline qui a pour rôle de faciliter la transmission des signaux.
La technologie de l’écriture a-t-elle fait de l’être humain un manipulateur de connaissances, voué à l’activité obsessionnelle et absurde, déconnecté du réel et de sa nature propre ? Où s’arrêtera alors le processus de déshumanisation des sociétés technoscientifiques qui envisagent l’être humain comme un assemblage de chairs mécanisées, obsédées par la prévision et le contrôle des individus ?
Studio Fatmi, Juin 2021
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“All media are extensions of some human faculty, psychic or physical”
(Marshall McLuhan, The Medium is The Message, 1967)
The video White Matter places its main character in a forest. A single man appears, turning his back to the camera, squatting in the middle of a pile of torn books and ripped-out book pages. The character stands up and starts juggling with the books from the ground, bending down every time one of them falls from his hands, then continues to juggle. From time to time, footage of a surgical operation interrupts the forest scene. One can see the expert hands of surgeons conducting an operation under general anesthetic, exploring the flesh of a patient deep in artificial sleep with their surgical tools.
An ominous musical tune gives rhythm to the alternating sequences that take on a dramatic quality that is underlined by a series of contrasts: the open space of the forest as opposed to the closed space of the operating room; the bright leafy backdrop as opposed to the dark technological environment; the vision of the juggler’s whole body in motion as opposed to the partial and still body being operated on. The random and imprecise movements of the juggler create a stark contrast with the precise gestures of the surgeons. The wide shots contrast with the close ones. The screen is at times split into several numbered rectangles, like on security surveillance monitors. This self-signaling of the video system also participates in the setup by creating a certain expectation in the viewer, as well as the fear an unexpected event might happen.
In this video, Mounir Fatmi studies the impact of modern technologies on memory while questioning the obsolescence of media. Techno-scientific progress has led to the rapid substitution of analog media, surpassed by digital images as society becomes increasingly virtual. The artist thus brings back to life anachronistic and formerly glorified devices such as books, in order to question the revolution of images and media that deeply modified our perception of the world and distorted our sense of memory. The title of the video refers to the white matter present in our brain that is responsible for the propagation of information through the nervous system. Just like the root systems of trees, this type of tissue is composed of millions of communication cables, each one containing a single long thread, the axon, enshrouded in a white substance, myelin, whose function is to facilitate the transmission of signals.
Did the technology of the written word turn human beings into manipulators of knowledge, destined to an obsessive and absurd activity, disconnected from reality and from their very nature? Where will the dehumanization process of techno-scientific societies cease, which consider human beings as an assemblage of mechanized flesh and are obsessed with the prediction and control of individuals?
Studio Fatmi, June 2021
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