Projet pictural initié en 2010, « Et pourtant elle tourne » regroupe des calligraphies circulaires réalisées à la peinture blanche sur la surface noire de disques vinyles 45 tours. La série de peintures aborde certains des thèmes essentiels du travail mené par mounir fatmi : dialogue entre les arts et la science, correspondances artistiques, interactions culturelles, naissance des significations, rapport du public à l'art et aux œuvres. « Et pourtant elle tourne » : le titre du projet reprend en effet une citation attribuée à Galilée faisant allusion au mouvement de la Terre autour du Soleil, phrase depuis passée dans le langage courant.
La série s'inspire en partie de la stratégie éditoriale des maisons de disques qui associe les 45 tours de musique classique à des pochettes illustrées par des œuvres de peintres célèbres, et s'appuie également sur les propriétés géométriques du cercle qui est en effet une figure centrale dans les recherches picturales et formelles menées par l’artiste. Sur le plan mathématique et géométrique, il permet la modélisation de nombreux phénomènes. Sur le plan symbolique spirituel et religieux, il renvoie à l'idée de perfection et de temps cyclique. D'un point de vue esthétique, il offre au spectateur un espace de projections mentales et de réflexion.
La stratégie éditoriale du disque vinyle, technologie dorénavant obsolete, organise le dialogue d'éléments appartenant à la culture dite « classique ». Sur le plan marketing, un élément fonctionne comme un argument d'autorité et une caution culturelle pour l'autre. L'échange d'auras artistiques auquel le public assiste risque ainsi de prendre des allures de flatterie réciproque. Pareille association de la « grande peinture » et de la « grande musique », fréquente et convenue dans le monde éditorial, se révèle finalement un excellent moyen pour annuler leurs pouvoirs respectifs, pour vider les œuvres de leur contenu esthétique et faire de celles-ci des objets inertes et inoffensifs. Les œuvres, transformées en pièces de musée poussiéreuses, se voient non plus appréciées pour leurs qualités intrinsèques, mais pour leurs réputations d'œuvres sérieuses.
Avec l’intervention de la calligraphie et de la peinture abstraite sur la surface du vinyl apparaît ce troisième motif qui va venir se poser en élément perturbateur. Ce dernier va se mettre à agir à la manière d'un virus, au sens où l'entendait William Burroughs lorsqu'il exprimait sa conception virale du langage. Ce geste pictural organise la rencontre de l'art contemporain, la musique et de l'art « classique », et ce faisant il réintroduit du mouvement là où les significations et les perceptions semblaient figées par l'habitude, par le fait que les œuvres soient estampillées « culture classique ».
Avec le projet « Et pourtant elle tourne », mounir fatmi développe les stratégies artistiques de la rencontre et du déplacement, qui sont au cœur de son travail. Il s'agit de sortir les éléments culturels de leur contexte d'origine, puis de les placer au sein d'un dispositif de mise en relation, dans le but de produire de nouvelles significations et de renouveler le rapport du spectateur à l'œuvre d'art et au monde. Trois éléments appartenant à un fonds culturel dit « classique » : musique, peinture et signe linguistique, étaient menacés d'immobilité et, du fait de leur extraction et de leur interconnexion, se remettent à vivre et sont rendus à leur capacités expressives et critiques. Il est un moyen d'annuler l'effet anesthésiant du consensus culturel. L’expression « Et pourtant elle tourne » prend ici une tonalité quelque peu ironique et critique dans la bouche de mounir fatmi : malgré ce que le milieu de l'art, l'approche bourgeoise de la culture tendent à faire de l'œuvre d'art, à savoir un objet inerte, mounir fatmi en affirme au contraire le potentiel de subversion, la vivacité et la capacité à renouveler des idées.
Studio Fatmi, Aout 2019.
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A pictorial project initiated in 2010, “And Yet It Moves” gathers circular calligraphies created with white paint on the black surface of 7-inch vinyl records. The series of paintings addresses some of the fundamental themes of mounir fatmi’s work: the dialogue between arts and science, artistic correspondences, cultural interactions, the birth of significations, the relation of the public to art and artworks. “And Yet It Moves”: the project’s title is a quote attributed to Galileo referring to the movement of the Earth around the Sun, a sentence that has become a common expression.
The series is in part inspired by the editorial strategy of record companies that associate classical music 7-inch records with sleeves illustrated by the works of famous painters; it also utilizes the geometrical properties of the circle, which is a major figure in the pictorial and formal research conducted by the artist. From a mathematical and geometrical perspective, it enables the modeling of a great variety of phenomena. From a symbolic, spiritual and religious perspective, it is connected with the idea of perfection and cyclical time. Finally, esthetically speaking, it offers the viewer a space for mental projections and reflection.
The editorial strategy of the vinyl record, nowadays an obsolete technology, structures a dialogue between elements belonging to so-called “classical” culture. From a marketing point a view, one element works as an authoritative argument and cultural validation for the other. The exchange of artistic auras witnessed by the public thus risks resembling mutual flattery. This association of “noble painting” with “noble music”, frequent and expected in the editorial world, ultimately turns out to be an excellent way to cancel their respective powers, in order to strip the works of their esthetic content and make them inert and harmless objects. The works, turned into dusty museum pieces, are no longer appreciated for their intrinsic qualities, but for their reputation as serious art.
With the intervention of calligraphy and abstract painting on the surface of the vinyl, a third motif appears that works as a disruptive element. It operates like a virus, in the sense William Burroughs meant when expressing his viral conception of language. This pictorial gesture creates an encounter between contemporary art, music and “classical” art, and in doing so reintroduces movement where significations and perceptions seemed frozen by habit, by the fact that the works were categorized as “classical culture”.
With the project “And Yet It Moves”, mounir fatmi develops artistic strategies for encounters and displacement, which are at the heart of his work. The idea is to remove cultural elements from their original context and place them in an environment that fosters connections, in order to produce new significations and renew the viewer’s relation to works of art and to the world. Three elements belonging to a so-called “classical” cultural realm: music, painting and linguistic signs, were in danger of being immobile; thanks to their extraction and interconnection, they are brought back to life and given back their expressive and critical capacities. There is a way to cancel the anesthetizing effect of cultural consensus. The expression “And Yet It Moves” takes on a new, somewhat sarcastic and critical meaning in mounir fatmi’s mouth: in spite of what the artistic milieu and the bourgeois approach to culture tend to do to a work of art, namely turn it into an inert object, mounir fatmi claims on the contrary its potential for subversion, its vivacity and its capacity to rejuvenate ideas.
Studio Fatmi, August 2019.
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