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12. Place Mehdi Ben Barka
 
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  • Started in 2011, enameled metal, 50 x 50 cm.
    Exhibition view from Working for change, Appartement 22, Rabat, Morocco.

Le projet « Place Mehdi Ben Barka » s'inscrit donc dans une stratégie artistique du déplacement, mais également de mise en relation.


Studio Fatmi, 2019

Le projet « Place Mehdi Ben Barka » commence avec une simple plaque de rue de style parisien : émaillée avec lettres blanches sur fond bleu, entourée d'un listel vert et surmontée d'un fronton portant le numéro d'un arrondissement. Sur la plaque figure le nom de l'opposant socialiste au roi Hassan II, Mehdi Ben Barka, chef de file d'un mouvement tiers-mondiste et panafricaniste révolutionnaire, enlevé le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris. D'autres informations figurent également sur la plaque : le numéro de l'arrondissement où l'enlèvement a eu lieu, les dates de naissance et de mort de Ben Barka, ainsi que le rôle qu'il a joué au sein de la société. Le projet consiste à faire voyager la plaque un peu partout à travers le monde et à l’installer en différents lieux. Des portraits photographiques de passants portant la plaque au niveau du visage sont également réalisés lors des déplacements.

Projet en lien avec l'installation et la vidéo « Face au silence », « Place Mehdi Ben Barka » s'interroge sur la stratégie artistique à adopter face au secret entourant cette tragédie. Que faire face au silence persistant des autorités impliquées au sujet de la disparition de Ben Barka ? Que faire lorsque la censure de l’information tente d'empêcher citoyens et artistes d'aborder le sujet? Que devient enfin l'héritage révolutionnaire laissé par Ben Barka plus de cinquante ans après sa disparition ?

La plaque de rue est au départ un panneau de signalisation indiquant une voie. Les plaques parisiennes (et généralement françaises) sont cependant chargées d'histoire et de nombreuses plaques ont en effet une valeur commémorative. Elles racontent ainsi les lieux, les bouleversements sociaux et politiques, les personnages marquants. Support de mémoire collective et repère historique, la plaque de rue n'est donc pas une indication anodine : elle affirme une certaine vision de l'histoire et de la société et pour cette raison elle est souvent l'objet de querelles et de batailles au sein des mairies et des collectifs citoyens : le changement de nom étant perçu comme une manière de nier le passé, d'effacer la mémoire afin de l'évacuer de l'espace public. Déjà dans le projet « mutation », l’artiste se poste la question ce qu’il reste d'une idéologie, d'un mouvement politique, d'un concept ou d'une histoire. Quelle mutation peut avoir une pensée, un combat ? Quand le slogan Burn Baby Burn des fameux activistes « Black Panther » devient une marque de sauce piquante, ou le nom de l’ancien président américain JF Kennedy est plus lié à l’aéroport éponyme qu’à son assassinat. L’artiste avec ce projet tente de transcender cette plaque faisant référence à un lieu devenu touristique.

La plaque conçue par mounir fatmi indique un lieu - qui par métonymie évoque un fait, à savoir l'enlèvement. Elle indique un rôle : « homme politique », réhabilitant ainsi Ben Barka dans la mémoire du public. Elle précise les dates de Ben Barka : « 1920 - 1965 », constituant une mention minimaliste du drame qui s'est produit et du silence qui s'en est suivi. Au final la plaque officialise et dramatise. Elle certifie l'existence de Ben Barka, son enlèvement, ses idées quasiment niés par le régime, tout en exprimant l'urgence de de faire éclater la vérité autour de son assassinat.

« Place Mehdi Ben Barka » est un projet mobile. En se déplaçant, la plaque provoque un renversement : elle fait passer d'un silence et d'une absence (du corps du disparu ou même d'une pierre tombale à sa mémoire) à un cri et une présence ubiquitaire. Ben Barka, «  commis-révolutionnaire voyageant d'un pays à l’autre » disait Jean Lacouture, rencontrant Che Guevara, Amil Cabral, Mao Zedong, Gamal Abdel Nasser ou encore Malcolm X, est présent partout, il est partout chez lui. Le projet transforme l'utopie initiale - lieu qui n'existe nulle-part pour Ben Barka ou pour ses idées, en une « pantopie », lieu qui se trouve partout, à chaque instant. Tout en accordant à Ben Barka la considération et la dignité auxquelles il a droit, l'œuvre le replace ainsi dans le circuit des idées et dans les champs des interactions intellectuels, politiques et sociales.

Le projet « Place Mehdi Ben Barka » s'inscrit donc dans une stratégie artistique du déplacement, mais également de mise en relation. Il fait se rencontrer, de manière quasiment intime et personnelle, le public, l'œuvre et l'artiste, dans le but de produire de réactiver des archives et des idées neuves. mounir fatmi réalise en effet un double-portrait en faisant poser les spectateurs aux côtés de la plaque. Le spectateur est appelé à participer pleinement à l'élaboration de l'œuvre : celle-ci fait de lui un témoin et un agent de mise en circulation des informations en sollicitant une mémoire individuelle, mobile et susceptible de se transmettre.

 

Studio Fatmi, Juillet 2019.

 

 

The « Place Mehdi Ben Barka » project begins with a simple Parisian-style street sign: enameled with white lettering against a blue background, circled with a green listel and crowned with a pediment bearing the number of an arrondissement. On the plaque appears the name of the socialist opponent to king Hassan II, Mehdi Ben Barka, the leader of a revolutionary, Third-Worldist and Pan-Africanist movement who was abducted on 29 October 1965 in front of the Lipp brasserie in Paris. Other pieces of information also appear on the plaque: the number of the arrondissement where the abduction took place, Ben Barka’s years of birth and death and the role he played in society. The project consists in taking the plaque to various places around the world and installing it in different locations. Photographic portraits of passers-by holding the plaque in front of their face are also taken during these voyages.

A project related to the installation and video « In the Face of Silence », « Place Mehdi Ben Barka »” is a reflection upon the artistic strategy to adopt with regards to the secret surrounding this tragedy. What can be done when faced with the authorities’ persisting silence about Ben Barka’s disappearance? What can be done when information censoring tries to keep citizens and artists from addressing the subject? And what becomes of the revolutionary heritage left by Ben Barka, more than fifty years after he disappeared?

The plaque is originally a simple sign indicating a street. Yet Parisian street signs (and French ones in general) are often charged with history, and many of them have a commemorative value. They tell the story of places, political and social crises and remarkable individuals. A medium for collective memory and a historical marker, the street sign isn’t just any indication: it asserts a certain vision of history and society, which is why it is often the object of quarrels and struggles in municipalities and citizen’s associations: changing a name is perceived as a way of denying the past, erasing memory in order to remove it from the public space. In the project entitled « Mutation », the artist already posed the question of what remains of an ideology, a political movement, a concept or a story. What mutations can a thought, a struggle undergo? When the slogan « Burn Baby Burn » of the famous Black Panthers activist movement becomes a brand of hot sauce, or when the name of former president J.F. Kennedy is more frequently associated with an airport than his assassination. With this project, the artist tries to transcend this plaque by referring to a place that has become a touristic destination.

The plaque conceived by mounir fatmi indicates a place, which through a metonymy evokes a fact, namely the abduction. It also indicates a role: « politician », thus rehabilitating Ben Barka in the public’s memory. It specifies Ben Barka’s dates: « 1920-1965 », which constitutes a minimalistic mention of the tragedy that took place and of the silence that ensued. Ultimately, the plaque formalizes and dramatizes. It certifies the existence of Ben Barka, his abduction, his ideas, all of which were practically denied by the regime, while at the same time expressing the urgency of exposing the truth about his assassination.

« Place Mehdi Ben Barka » is a mobile project. By moving around, the plaque creates an inversion: it shifts from a silence and an absence (of the missing body, and even of a tombstone to his memory) to a scream and an ubiquitous presence. Ben Barka, « a revolutionary traveler going from country to country », as Jean Lacouture said, who met with Che Guevara, Amil Cabral, Mao Zedong, Gamal Abdel Nasser and Malcolm X; he was present everywhere, and everywhere at home. The project transforms the original utopia, a place that exists nowhere for Ben Barka and his ideas, into a « pantopia », a place that is everywhere, every instant. Granting Ben Barka the consideration and dignity he is entitled to, the work also replaces him in the circuit of ideas and in the fields of intellectual, political and social interactions.

As such, the project « Place Mehdi Ben Barka » is part of an artistic strategy of displacement, but also of connections. It brings together, in an almost intimate and personal way, the public, the artwork and the artist. In order to produce and reactivate archives and new ideas, mounir fatmi creates a two-fold portrait by making the viewers pose next to the plaque. The viewer is called upon to fully participate in the work’s elaboration, which makes him or her a witness and an agent for the circulation of information, by soliciting an individual and mobile memory that is liable to be transmitted.

 

 

Studio Fatmi, July 2019.