Sortir de l’histoire est un projet de grande envergure constitué d’une installation à géométrie variable et d’une série de trois vidéos, axées autour de l’histoire du Black Panthers Party for Self-Defense, perçue comme histoire-symbole, ou parabole, de l’histoire des idéaux politiques et de leurs déliquescence.
Le projet Sortir de l’Histoire naît en 2006, lorsque l’artiste découvre que les documents d’archives du FBI concernant le Black Panthers Party sont désormais accessibles, auprès du Gouvernement américain à travers la Freedom of Information Act. Alors que le BPP et ses membres historiques restent en France politiquement mal perçus, mounir fatmi imagine un projet autour de l’histoire de ce mouvement révolutionnaire né en 1966 au lendemain de l’assassinat du leader du Black Power, Malcolm X. Dans un premier temps, en collaboration avec la galerie La Bank, Paris, se forme le projet d’une exposition de photographie d’archives, certaines célèbres, d’autres jamais montrées, autour du mouvement BPP. A cette occasion, mounir fatmi réalise une première configuration de l’installation Sortir de l’Histoire, en tapissant les murs de certains espaces de la galerie de documents censurés du FBI. En outre, est invité, parmi d’autres anciens membres du BPP, l’un de ses membres fondateurs et chef de l’état-major, David Hilliard. Mounir Fatmi décide de s’entretenir longuement avec lui, dans le cadre du premier volet d’une trilogie vidéo : Histoire de l’Histoire. David Hilliard y évoque le passé du BPP, et son présent, avec son regard et ses mots d’aujourd’hui, forts et sûrs, ombrés du trait noir de la censure, distanciés et étrangement présents…
Dans cette perspective trans-temporelle se superposent destinée collective et destinée individuelle entre ce que fut l’histoire d’une lutte et d’un mouvement révolutionnaire et la trajectoire personnelle d’un homme vieillissant mais toujours fervent.
L’installation, dans laquelle s’intègre la vidéo, est présentée dans une version plus élaborée à la Biennale de Dakar en 2006.
Sortir de l’Histoire nous projette dans l’Amérique des années 60, à travers l’évocation de la froide fonctionnalité d’un bureau du FBI de l’époque. Archives, documents gouvernementaux, raturés de noir, censurés, et photographies d’époque -fournies par le Huey P. Newton fondation d’Oackland-, sont connectés entre eux, créant une tension dramatique.
L’espace ainsi mis en scène concourt à rappeler le rôle du FBI dans la répression sanglante, les arrestations arbitraires et les condamnations dont furent victimes les membres du Black Panthers Party for Self-Defense. Mais ici, les documents, utilisés comme matériau de construction de l’œuvre, ne sont pas circonscrits à leur seule dimension sociologique et historique, mais renvoient également à des histoires intimes, des engagements, des ambitions personnelles.
Au travers du double dispositif installation-vidéo, on perçoit comment les individus progressivement « sortent de l’Histoire », oubliés au profit d’une Histoire générique, mais aussi la nécessité de «sortir de l’histoire », d’en prendre la distance, pour en comprendre les implications et finalement ce qu’il « en reste » : des images, passées au filtre des mémoires oublieuses, des esthétiques révolutionnaires, des témoignages dont le sens s’est perdu dans le vortex médiatique…
Le titre de l’installation porte en lui toute l’ambivalence du projet. Plus qu’une réflexion réactivant la mémoire, Sortir de l’Histoire s’interroge sur « ce qui reste de l’histoire » : Que reste-t-il du Black Panthers Party ? Que reste-t-il de cet activisme qui fut considéré par les uns comme idéal de la contestation, par d’autres, à l’instar de J.E Hoover déclarant en 68 le BPP " plus grande menace pour la sécurité intérieure du pays", comme un parangon de violence? Et de manière plus générale, ne pose-t-elle pas la question philosophique de l’aporie pratique de tout idéal politique ?
Alors, nous renvoyant à notre perception subjective de l’Histoire, mounir fatmi choisit, en lieu et place du livre d’histoire institutionnalisé, fonctionnalisé, une prise par l’anecdotique, le détail, l’intime, le vécu, comme pour réinjecter de l’existence réelle dans une histoire rationalisée, objectivée et se réaffirmer en témoin contemporain et engagé de problématiques toujours urgentes au regard de l’actualité. Sortir de l’histoire, ou comment sortir de sa logique circulaire ?
L’installation Sortir de l’Histoire a remporté la plus haute distinction de la Biennale de Dakar 2006, le Prix Léopold Sédar Senghor. On peut dire, en effet que, dans ce contexte, elle ne saurait, comme le note Evelyne Toussaint*, être « déconnectée » de la question du post-colonialisme et du statut des immigrés, « de ceux qui, démunis mais insistants, pour reprendre la formulation d’Edward Saïd »*, ont « besoin de terres, de pain, de logements, d’éducation, de vêtements, de justice et de paix » (article 10 du manifeste des Black Panthers)
Le développement du projet Sortir de l’histoire, outre l’évolution de l’installation au cœur de laquelle sont présentées les vidéos, prendra acte autour d’un deuxième et troisième volet vidéo, qui traiteront respectivement de la fin de l’utopie et des ambiguïtés des idéologies dans le monde marchand.
Marie Deparis, Paris 2008
*Evelyne Toussaint, maître de conférences à l’Université de Pau et des pays de l’Adour
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Out of history is a project with great scope, made up of a flexible installation and a series of three videos, centred around the history of the Black Panthers Party for Self-Defense, seen as a symbolic history, or parable, of the history of political ideals and their decline.
The project Out of History was born in 2006, when the artist discovered that the FBI's archives on the Black Panthers Party had become accessible from the American government through the Freedom of Information Act. Although the BPP and its members are still politically ill-perceived in France, mounir fatmi has imagined a project based around the history of this revolutionary movement born in 1966 in the aftermath of the assassination of Malcolm X, the leader of Black Power. Firstly an exhibition project was formed in collaboration with the Bank gallery in Paris, with archive photography of the BPP movement – some of which is famous, some of which had never been shown before. For this occasion mounir fatmi created the first configuration of the installation Out of history, by decorating the walls in parts of the gallery space with documents censured by the FBI. In addition, David Hilliard, one of the founding members and chief of staff of the BPP was invited along with other former members. Mounir fatmi decided to discuss with him at length, as the first part of a video trilogy: History of History. David Hilliard evokes the BPP's past and present, with today's words and point of view, strong and sure, shaded by the dark shadow of censorship, distanced but strangely present...
From this trans-temporal angle collective and individual destinies are superimposed: from the history of struggle and revolutionary movement to the personal trajectory of a man who is ageing but still fervent.
A more elaborate version of the installation, with the video integrated, was presented at the Dakar Biennale in 2006.
Out of history throws us into the America of the 60s, by evoking the cold functionality of an FBI bureau of the period. Archives, crossed out, censored government documents and photographs from the time – provided by the Huey P. Newton Foundation of Oakland – are connected one to another, creating a dramatic tension. The presentation of the space contributes to reminding us of the FBI's role in the bloody repression, arbitrary arrests and condemnations - amongst their victims the members of the Black Panthers Party for Self-Defense. But here, the documents used as material to construct the piece are not limited solely to their sociological and historical dimensions, they also refer to intimate stories, commitment and personal ambitions.
Through this double installation/video system, we perceive how individuals progressively “exit history”, forgotten in favour of a generic history, but also the necessity to “exit history”, to take some distance from it, to understand it's implications and what “is left of it” in the end: images, passed through the filter of forgetful memories, revolutionary aesthetics, accounts whose meaning is lost in the media vortex....
The title of the installation contains all the ambiguities of the project itself. More than a reflection reactivating the memory, Out of History questions what is “left of history”: what is left of the Black Panthers Party? What is left of this activism which was considered by some to be the ideal protest, and by others, following J.E. Hoover's example, who declared in '68 that the BPP was “the biggest threat to the country's domestic security”, to be a paragon of violence? And in a more general way, does it not ask the more philosophical question of the practical aporia of any political ideal? Thus, referring us to our subjective perception of History, mounir fatmi, instead of a functional, institutionalised book, chooses anecdotal details and intimate and personal experience, as if to re-inject real existence into a rationalised, objectivised history and to reassert himself as a contemporary witness, committed to problems that are still urgent with regard to current affairs. Is it about exiting history or about how to exit its circular logic?
The installation Out of History won the Léopold Sédar Senghor Prize, the highest distinction at the 2006 Dakar Biennale. You could say, indeed, in the context, that it will not be possible, as Evelyne Toussaint noted, for the installation to be “disconnected” from the question of post-colonialism and the status of immigrants, “from those who, destitute but insistent, to borrow Edward Saïd's wording”, need “land, bread, housing, education, clothes, justice and peace” (article 10 from the Black Panthers manifesto)
The development of the project Out of History, other than the evolution of the installation in which the videos are presented, will also include a second and third video, which will deal with the end of utopia and the ideological ambiguities in the commercial world respectively.
*Evelyne Toussaint, lecturer at the Université de Pau et des pays de l’Adour
Translation: Caroline Rossiter.
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