L’édition de septembre 2011 du magazine mensuel français sur les arts Connaissance des Arts a présenté La Florence Lumineuse de Fra Angelico (« The Luminous Florence of Fra Angelico ») coïncide avec l’ouverture de la grande exposition des œuvres du maître et de celles de ses contemporains au Musée Jacquemart-André à Paris : Lorenzo Monaco, Masolino, Paolo Uccello, Filippo Lippi et Zanobi Strozzi. Un détail d’une mère et de son enfant radieux, de Fra Angelico Vierge à l’Enfant, datant de 1450, a agrémenté la couverture du magazine, Marie dans une robe rouge vif drapée dans une cape indigo à bordures dorées, l’Enfant Jésus pratiquement transparent dans sa perfection de porcelaine et ses boucles cuivrées sur la tête. Marie regarde avec piété son enfant saint, en lévitation apparente sur ses genoux, sa main droite étendue vers l’extérieur dans un geste de bénédiction. Chaque silhouette est couronnée d’une auréole circulaire parfaitement dorée, ornée de motifs symétriques dans un rouge sang prémonitoire. Fra Angelico n’a pas embrassé les halos semblables à une assiette équilibrée sur l’arrière de la tête que ses contemporains comme Masaccio ont adoptés dans leurs travaux, mais a dépeint à la place des auréoles éclatantes sur un fond uniforme. De riches rideaux de brocart dorés encadrent le duo, alors qu’un motif plutôt contemporain de rayures noires, rouges et blanches s’abat verticalement derrière eux.
Entre-temps, la couverture de derrière de ce numéro de magazine particulier comporte une photographie en couleurs d’une Angelina Jolie pensive, les pieds aussi nus que ceux de l’Enfant Jésus et un regard lointain presque aussi réticent que celui de la vierge. Habillée avec un linge ample aux tons terreux, l’actrice hollywoodienne est assise dans un canoë en bois flottant dans un marais luxuriant. Ses cheveux noirs sont lâchés, tandis qu’elle étreint son genou gauche et se blottit contre le sac fourre-tout volumineux signé Louis Vuitton qui est mis en bandoulière sur son épaule gauche. Comme l’icône du XVème siècle présentée sur la couverture, cette publicité cherche à communiquer et à affirmer un système de croyances très précis. Dans l’œuvre de Fra Angelico, le christianisme d’avant la Réforme est en jeu, tandis que sur l’image imprimée des produits de maroquinerie français, une exaltation quasi religieuse du luxe et de la célébrité est présentée.
La juxtaposition de ces deux images déclenche une explosion de références, notamment celle concernant la figure de Mère sacrée, et le rôle de la femme occidentale historique et contemporaine. Bien que souligner ce point semble être un commérage et une mesquinerie dans ce contexte, Il est significatif que les fondateurs du Musée Jacquemart-André, Nélie Jacquemart et Édouard André fussent sans enfants. Le couple s’est rencontré quand Jacquemart, une jeune portraitiste, a peint André, un banquier et collectionneur notoire. La collection qu’ils ont construite ensemble après leur mariage en 1881 est connue non seulement pour ses collections de niveau mondial de l’art italien des XIVème et XVème siècles, mais aussi pour son imagerie considérable de la Mère et de l’Enfant. Il est dit que, étant sans enfants qui soient les siens, Jacquemart est devenue profondément attachée au genre, en acquérant des versions exquises de Bellini, Botticelli, Della Robbia, Mategna et Pérugin. Pendant ce temps, Angelina Jolie, bien que bénie avec une famille nombreuse et grandissante, semble parfois elle aussi être obsédée par l’accroissement de sa progéniture. Elle a donné naissance à trois enfants, et en a également adoptés d’autres en provenance du Cambodge, d’Éthiopie et du Vietnam. Dans les deux cas, ces femmes semblent désirer une image sacrée de la maternité, que celle-ci soit un acte performatif ou une œuvre d’art à contempler.
Les deux images de couverture frappent également par leur forte résonance esthétique. Non seulement la pose pieds nus d’Angelina Jolie et ses vêtements diaphanes font écho au rendu de Fra Angelico de l’Enfant Jésus, mais sa pose assise reflète la composition triangulaire ancrée tant appréciée par les peintres de la Renaissance. De même, la main de la Vierge, portée légèrement vers son cœur trouve sa réplique dans la main délicate de notre actrice contemporaine, portée vers ses jambes légendaires.
Cependant, les résonances émouvantes entre ces deux images, les extrêmes d’une portion de 500 ans de l’histoire occidentale, seraient probablement invisibles et « vues seulement inconsciemment », si ce n’était pour le projet de Mounir Fatmi, La Quatrième Couverture (« The Fourth Cover »). Fatmi continue à construire son archive visuelle 20 ans après l’avoir commencée en 1991, en établissant une chronologie particulière de parallèles et de divergences dans les médias et l’imagerie publicitaire. Il procède très simplement en prenant un magazine particulier du kiosque à journaux (le numéro de septembre 2011 de Connaissance des Arts, par exemple), et en présentant la première et dernière de couverture (la première et la quatrième) côte à côte – un type de diptyque d’icônes laïques. Les qualités d’observation de Fatmi, son sens des nuances de l’esthétique et de la composition, ainsi que les implications sociales et politiques des juxtapositions particulières font de cette série une révélation.
Pour ce projet, Fatmi s’approprie les couvertures d’hebdomadaires français comme L’Express, Le Figaro, Le Monde, Les InRockuptibles, Paris Match, Marianne, Télérama, Le Point, Le Nouvel Observateur, Challenges, et Jeune Afrique (publications largement distribuées à travers le spectre libéral et conservateur), ainsi que des titres internationaux comme The Economist, Time, Newsweek, The New Yorker, Bloomberg Businessweek, Der Spiegel, L’Espresso et Telquel. Les annonceurs vont des horlogers de luxe tels que Wempe, Longines, Patek Philippe, Tag Heuer, Omega, et Bruguet, et autres marques haut de gamme comme Hermès, Dior et Guerlain, aux articles et services plus populaires tels que les bières Kronenbourg et Pelforth et Western Union.
Dans la plupart des œuvres de cette série, les sujets des événements actuels présentés sur la couverture du magazine en première page semblent diverger fortement de la publicité de la quatrième couverture. Par exemple, la couverture du numéro de Paris Match du 21 janvier 2010, comporte une photo horrifiante d’une jeune fille étant tirée, nue et couverte de poussière, des décombres après le séisme en Haïti. Pendant ce temps, sur la dernière page de couverture, la quatrième de Fatmi, nous voyons John Travolta poser sur un avion de chasse de première ligne de la Seconde Guerre mondiale dans une publicité pour la marque suisse de montres de luxe Breitling. Mais n’était-ce pas, en fait, Travolta qui a piloté son propre avion jusqu’à Haïti à la suite du récent tremblement de terre, pour transporter 80 médecins et les approvisionnements indispensables directement sur le site dévasté ? En ouvrant une copie de ce numéro particulier et en le posant à plat, Fatmi identifie une convergence entre les images qui vendent des informations et celles qui vendent du luxe.
La première et la quatrième couverture du travail de cette série convergent de manière très tranchée autour de l’impact de la crise financière actuelle. La célèbre double récession en forme de W se révèle être une réalité alors que 2012 démarre avec une anxiété persistante quant à la stabilité de la zone euro, une économie américaine léthargique et l’abaissement de la note de crédit de la cinquième plus grande économie du monde, la France. Le numéro de The Economist du 17 septembre 2011 qui portait le titre « Comment sauver l’euro (How to save the Euro) » a été publié avec une publicité sur la dernière page de couverture pour Patron Tequila dont le slogan était « Devise Mondiale ». Fatmi n’a pas raté cette collision de contextes, et a inclus ces couvertures dans ses archives grandissantes.
De manière générale, la série de Fatmi La Quatrième Couverture affirme la devise mondiale des images. Les valeurs politiques, culturelles et sociales, autrefois codifiées par le symbolisme religieux, sont désormais qualifiées par des signes de luxe et de glamour. L’acte d’ouverture de Fatmi, qui nous force à être témoin des connexions et des divergences, entre le devant et le derrière, positionne l’image comme le dénominateur commun entre les informations et les économies de consommations actuelles.
Lillian Davies, janvier 2012
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The September 2011 edition of the monthly French arts magazine Connaissance des Arts featured La Florence Lumineuse de Fra Angelico (“The Luminous Florence of Fra Angelico”), coinciding with the opening of Paris’s Jacquemart-André Museum’s major exhibition of the master’s work and that of his contemporaries: Lorenzo Monaco, Masolino, Paolo Uccello, Filippo Lippi and Zanobi Strozzi. A detail of a truly glowing Mother and Child, Fra Angelico’s Virgin with Child, 1450, graced the front cover of the issue, Mary in a brilliant red gown draped in a gold-trimmed indigo cloak, the Christ child practically transparent in his porcelain perfection and head of copper curls. Mary gazes piously down at her holy child, seemingly levitating in her lap, his right hand extended outwards in a gesture of benediction. Each figure is crowned with a perfectly circular golden halo, embellished with symmetrical patterns in a prescient blood red. Fra Angelico did not embrace the plate-balanced-on-the-back-of-the-head style halos that his contemporaries such as Masaccio adopted in their work, and instead depicted his glowing aureoles flush against an emphatically flat background. Rich gold brocade curtains frame the pair, as a rather contemporary pattern of black, red and white stripes falls vertically behind them.
Meanwhile, the back cover of this particular magazine issue features a color photograph of a pensive Angelina Jolie, her feet as bare as the Christ child’s and her distant gaze almost as reticent as the Madonna’s. Dressed in loose earth-tone linen, the Hollywood actress is seated in a wooden canoe floating in a lush marshland. Her dark hair hangs loose, as she clasps her left knee and snuggles against the bulking Louis Vuitton signature tote bag that is slung over her left shoulder. Like the 15th century icon detailed on the cover, this advertisement is in the business of communicating and affirming a very precise belief system. In the work of Fra Angelico, pre-Reformation Christianity is at stake, while in the print image for French leather goods, it is an almost religious exaltation of luxury and celebrity.
The juxtaposition of these two images triggers an explosion on references, not the least concerning the sacred Mother figure, and the (corresponding) position of historical and contemporary Western woman. Although it feels gossipy and mean-spirited to make the point, in this context, the fact that the founders of the Jacquemart-André Museum, Nélie Jacquemart and Edouard André, were childless, is significant. The couple met when Jacquemart, a young portraitist, painted André, a banker and well-known collector. The collection they built together after their marriage in 1881 is known not only for its world-class holdings of 14th and 15th century Italian art, but also for its extensive imagery of the Mother and Child. It is said that without children of her own, Jacquemart became intensely attached to the genre, acquiring exquisite versions by Bellini, Botticelli, Della Robbia, Mategna, and Perugino. Meanwhile, Jolie, although blessed with a large and growing family, at times also seems obsessed with her expanding progeny. She has given birth to three children, and has also adopted others from Cambodia, Ethiopia and Vietnam. In both cases, these women seem to long for a (sacred) image of motherhood – whether that is a performative act or an artwork to behold.
The two cover images also strike a strong aesthetic resonance. Not only do Jolie’s barefoot pose and diaphanous garments echo Fra Angelico’s rendering of the Christ-child, but her seated pose mirrors the grounded triangular composition cherished by Renaissance painters. Likewise, the hand of the Madonna, gently gesturing towards her heart finds its repetition in the equally delicate hand of our contemporary actress, this time gesturing towards her legendary legs.
However, the stirring resonances between these two images, endpoints for a 500 year swathe of Western history, would most likely be invisible, “seen only unconsciously,” if not for Mounir fatmi’s project, La Quatrième Couverture (“The Fourth Cover”). Started in 1991, more than 20 years later, fatmi continues to build his visual archive, establishing a particular timeline of parallels and divergences in media and advertising imagery. His is a very simple action of pulling a particular magazine off the newsstand (the September 2011 issue of Connaissance des Arts, for example), and opening it to present its front and back covers (the first and the fourth) side by side – a sort of diptych of secular icons. Fatmi’s skills of observation, his sense of the nuances of aesthetics and composition, as well as the social and political implications of particular juxtapositions yields this series a revelation.
For this project, Fatmi appropriates covers from French weeklies such as L’Express, Le Figaro, Le Monde, Les inRockuptibles, Paris Match, Marianne, Télérama, Le Point, Le Nouvel Observateur, Challenges, and Jeune Afrique (publications that fall widely across the liberal and conservative spectrum), as well as international titles such as The Economist, Time, Newsweek, The New Yorker, Bloomberg Businessweek, Der Spiegel, L’Espresso and Telquel. Advertisers range from the luxury watchmakers such as Wempe, Longines, Patek Philippe, Tag Heuer, Omega, and Bruguet, and other high-end brands such as Hermes, Dior and Guerlain to more popular items and services such as Pelforth and Kronenbourg beers and Western Union.
In many of the works of this series, the current-events driven subject presented on the magazine’s front cover seems wildly divergent from the fourth cover advertisement. For example, the front cover of the January 21, 2010 issue of Paris Match features a horrific photo of a young girl being pulled, naked and covered with dust, from the post-earthquake rubble in Haiti. Meanwhile, on the back cover, fatmi’s fourth cover, we see John Travolta posing on a vintage WWII front-line fighter plane in an advertisement for the luxury Swiss watch brand Breitling. But was it not, in fact, Travolta who flew his own plane to Haiti in the wake of the recent earthquake, transporting 80 medics and much needed supplies directly to the devastated site? By opening a copy of this particular issue and laying it flat, fatmi identifies a convergence between the images that sell information and those that sell luxury.
Where the first and fourth covers in this series work often very clearly intersect is around the impact of the current financial crisis. The famous double-dip, W-shaped recession is currently proving itself a reality as 2012 opens with continued anxiety about the stability of the Eurozone, a sluggish American economy and the down-grade of the credit rating of the world’s fifth largest economy, France. The September 17, 2011 issue of The Economist, headlined with “How to save the Euro” was published with a back cover ad for Patron Tequila; the tagline reads: “Global Currency.” Fatmi didn’t miss this collision of contexts, and included these covers in his growing archive.
Overall, fatmi’s series La Quartrième Couverture, asserts the global currency of images. Social, political and cultural values, where they were once codified by religious symbolism, are now qualified by signs of glamour and luxury. Fatmi’s act of opening, forcing us to witness the connections, and the divergences, between front and back, positions the image as the common denominator between the information and consumer economies of our day.
Lillian Davies, January 2012
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