Le projet Le reste est le résultat d’un travail in situ réalisé par l’artiste dans le cadre d’une résidence à Bourges en 2004 – 2005, à l’invitation de l’association Bandits-Mages. Dans ce contexte, mounir fatmi s’est intéressé au programme de renouvellement urbain municipal, et notamment à la destruction prochaine d’une tour HLM, la tour E.T., connue de tous les habitants de la ville sous le nom de Tour « Eiffel », du nom d'une rue du quartier.
Pour Le reste, plusieurs propos-projets se superposent : transformer la tour promise à la destruction en espace artistique éphémère, permettre aux habitants de se réapproprier, ultimement, le lieu où ils vécurent, collecter de futures traces qui feront mémoire « archéologique », interroger le poids de l’architecture sur l’existence quotidienne.
Mounir Fatmi a donc invité des artistes à intervenir dans la tour : chaque artiste* investit un étage pour y faire une proposition artistique. D’anciens appartements, cages d’escaliers, balcons se voient reconvertis en lieux d’art provisoires.
Puis, l’artiste propose aux habitants du quartier et de la ville de venir déposer dans la tour des objets, des lettres, qui laissés dans la tour, se détruiront avec elle et formeront les fragments, les restes d’une histoire, de leur histoire. Par ailleurs, les anciens habitants des lieux sont invités à revenir dans leurs appartements pour le découvrir transformé en espace d’art, mais aussi y recréer, pour un ultime temps, un lieu de rencontre, de convivialité. Une façon encore pour les habitants de reconfigurer ce lieu chargé d’histoire pour eux avant la destruction.
Parallèlement, Mounir Fatmi opère un recollement, un " état des lieux " de la tour, constituant la mémoire de ce lieu, ce qu’il en restera lorsque celui-ci ne sera plus que gravats: il note, photographie, référence, enregistre, filme l’architecture, les interventions humaines – des papiers peints aux graffitis…-, et les points de vue sur la ville offerts par chaque étage et ouverture. Il réalise également un travail sonore, dans lequel il utilise la tour comme récepteur, des caves jusqu’au 13ème étage, de tous les bruits de la ville.
Ce que l’on voit des fenêtres de cette tour, son ombre portée sur les rues avoisinantes, sa manière de structurer le paysage quotidien…Le travail de mounir fatmi montre clairement comment l’architecture urbaine s’inscrit en profondeur dans la manière dont chacun perçoit et vit la réalité du monde. Dans l’expérience subjective, physiologique et psychologique, que l’on se fait du monde, penser le monde est intimement lié à son environnement immédiat, comme l’avait déjà si bien analysé Walter Benjamin dans les années 30, à l’orée de la modernité architecturale. Tours, bétons, cages d’escaliers, nous avons là affaire à un vivre ensemble qui peut être à la fois promiscuité, et convivialité, entraide, exacerbation de la violence dans la dégradation (voir les graffitis), un concentré des réalités sociales qui se superposent et s’affrontent. Le reste demande alors ce qu’est « habiter », ajoute à l’aspect mémoriel du projet les dimensions existentielles et éthiques de l’architecture : les questions du « bien-vivre », du « vivre ensemble ». La destruction de cette tour, comme de beaucoup de celles construites dans les années 60-70, et avec elle une manière d’avoir habité ensemble semble marquer l’échec de l’architecture contemporaine issue de l’école de Le Corbusier, de cet idéalisme du béton et de la « machine à habiter », d’un échec politique aussi à vouloir plier l’humain à un schéma pré-établi de vie collective.
D’Ovalprojet (1989-2002) à Save Manhattan (2004-2007) jusqu’au récent projet en trois chapitres Fuck Architects, l’architecture apparaît comme une préoccupation majeure pour mounir fatmi, attentif à ce que celle-ci recèle d’implications politiques, économiques, aussi bien qu’existentielles ou religieuses.
Marie Deparis
*Les artistes invités : Sébastien Feugère, Hervé Bezet, Mateo Tomasina, Ian Monk, Jean-Paul Labro, Lisa Gabry, Emilie Dupuch, Sylvain Daval, Amour Chammartin, Christophe Gerbault, Perrine Grivaux, Maïwenn Grall, Tiné Duchambon, Nicolas Célin, Mohamed Elbaz, Christophe Boulanger, Bouchra Khalili.
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The project entitled “The Rest” is the result of in situ work conducted by the artist during a residency in Bourges, in central France, in 2004-2005, invited by the association Bandits-Mages. In this context, Mounir Fatmi took an interest in the municipal urban renovation program, particularly in the planned demolition of a social housing high-rise, the E.T. tower, known by the city’s inhabitants as the “Eiffel Tower”, after the name of one of the neighborhood’s streets.
For The Rest, several projects and proposals came to be superimposed: to transform the soon-to-be destroyed tower into a temporary artistic space, to offer the inhabitants the possibility of a last minute re-appropriation of this place where they lived, to collect future traces that will serve as “archeological” memories, and to question the weight of architecture in our daily lives.
Mounir Fatmi invited artists to intervene in the tower: each artist* took possession of one floor of the building with an artistic proposition. Old apartments, stairwells and balconies were thus converted into temporary art spaces.
The artist then offered the inhabitants of the neighborhood and of the entire city to come and leave objects and letters in the tower, which will be destroyed with it and become fragments, the remains of a story, their story.Additionally, the building’s former inhabitants are invited to return to their old apartment and re-discover it converted into an art space, recreating, one last time, a place for encounters and togetherness. Another way for the inhabitants to reconfigure this place loaded with history before it disappears.
At the same time, Mounir Fatmi pieces the tower back together, conducting an inventory of sorts, making up the memory of this place, of what will be left when it has been reduced to rubble: he takes notes, photographs, references, records, films the architecture, the human interventions – from wallpaper to graffiti – and the views over the city available from every floor and every opening. He also creates a sonic piece for which he uses the tower, from the basement to the 13th floor, as a receiver for all the city’s noises.
What can be seen through the windows of this tower, its shadow cast over the neighboring streets, the way it structures the inhabitants’ daily landscape: Mounir fatmi’s work clearly shows how urban architecture is deeply seated in the way each one of us perceives and experiences the world in its reality. In the subjective, psychological and physiological experience we have of the world, the way we think about the world is closely linked to our immediate surroundings, as Walter Benjamin rightly analyzed in the 1930s, in the early days of architectural modernity. Towers, concrete, stairwells: all these make for a togetherness that can be akin to promiscuity, conviviality, mutual aid or the exacerbation of violence through degradations (as in the graffiti), a concentration of social realities that are superimposed and opposed to one another. The Rest questions what it means to “inhabit” somewhere, adds to the memorial aspect of the project the existential and ethical dimensions of architecture: the questions of “living well” and “living together”. The demolition of this tower, and of many others built in the 1960s and 1970s, and along with them, of a way of living together, seems to signal the failure of contemporary architecture inherited from the Le Corbusier school and of idealism based on concrete and on the idea of the “machine for living in”, as well as a political failure, after having attempted to conform people to a pre-established model of collective living.
From Ovalprojet (1989-2002) to Save Manhattan (2004-2007) up until the recent project in three chapters Fuck Architects, architecture is clearly a major subject of interest for Mounir Fatmi, aware as he is of its political and economical, but also existential and religious, implications.
Marie Deparis
*The invited artists: Sébastien Feugère, Hervé Bezet, Mateo Tomasina, Ian Monk, Jean-Paul Labro, Lisa Gabry, Emilie Dupuch, Sylvain Daval, Amour Chammartin, Christophe Gerbault, Perrine Grivaux, Maïwenn Grall, Tiné Duchambon, Nicolas Célin, Mohamed Elbaz, Christophe Boulanger, Bouchra Khalili.
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