La sculpture « Tools Holder 01 » est réalisée à l'aide d'une ceinture à outils en cuir noir déroulée et accrochée au mur. À celle-ci sont suspendus divers instruments de bricolage (spatule, pince, niveau à bulle, marteau crayon, etc.), mais également des ouvrages philosophiques, La Crise de la culture d'Hannah Arendt, L'Œil et l'Esprit, de Merleau-Ponty, La Philosophie critique de Kant, de Deleuze ainsi qu'une œuvre littéraire, La Dame au petit chien, d’Anton Tchekhov.
Tous ces écrivains et philosophes ont forgé la pensée de l’artiste et servi de base à l’élaboration de plusieurs de ses œuvres. Hannah Arendt est par exemple citée dans la vidéo « The Beautiful Language » (2010), vidéo dont les images sont extraites de L'Enfant sauvage, film de François Truffaut réalisé en 1970 et inspiré de l'histoire vraie, à la fin du 18e siècle, d'un garçon « sauvage » pris en charge par un médecin français pour l’étudier comme un spécimen de la différence. L’artiste a utilisé aussi le nom d’Anton Tchekhov comme pseudonyme dans la vidéo et série photographique « Qui est Joseph Anton ? » (2012-2013). L’idée de ce projet s’inspire en partie d’une rencontre de mounir fatmi avec Salman Rushdie à Bruxelles lors de la sortie de son autobiographie intitulée Joseph Anton, pseudonyme qui mêle les noms des deux écrivains préférés de Salman Rushdie, Joseph Conrad et Anton Tchekhov. Enfin, les noms de Gilles Deleuze et Merleau-Ponty sont inscrits sur les casques de chantier en porcelaine de l’installation « Les Monuments » (2008-2009), accompagnant d’autres intellectuels comme Jacques Derrida, Jean Baudrillard, Michel Foucault ou Édouard Glissant et créant ainsi une ambiance de chantier de penseurs de la modernité occidentale, qui ont conçu la plupart des théories et des structures idéologiques avec ou contre lesquels s’est constitué le monde contemporain.
La sculpture « Tools Holder 01 » se saisit tout autant de matière, de matériaux que de concepts. L’artiste défend un art relevant à la fois de l'artisanat et de l'élaboration conceptuelle. Son approche est poétique : ses œuvres mettent en relation les éléments où s'attachent à découvrir des rapports entre eux. Toute réflexion, toute entreprise d'acquisition de savoir est, de la même façon, mise en relation. mounir fatmi prend le parti de la diversité et de la multiplicité contre la pensée dogmatique, les lectures uniques, les interprétations univoques et définitives. Les rapprochements opérés, fondés sur l'hétérogénéité des éléments, se veulent essentiellement libres. Le choix des éléments appartient entièrement à l'artiste. Il n'en exclut aucun a priori et peut les sélectionner dans les domaines les plus divers, même s'ils n'ont - apparemment - pas de lien entre eux. La démarche artistique prend ici ses distances par rapport aux pouvoirs des éléments de culture. Elle n'établit pas non plus de hiérarchie, mais crée les conditions d'un dialogue. L'artiste joue alors le rôle d'hybridateur culturel.
L'art pratiqué par mounir fatmi relève à la fois du biographique et de l'universel. Il recense des éléments appartenant à la culture universelle et dans le même temps livre un autoportrait dans chacune de ses œuvres. La vision de l'art que promeut l’artiste relie enfin - de manière discrète et presque allusive - les questions de la liberté et de la connaissance à celles du désir et de l'interdit : avec l'apparition de la dame au petit chien, aux amours subversifs, et celle d'Anton Tchekhov, dont le nom apparaît aux côtés de celui de Salman Rushdie dans plusieurs œuvres abordant les rapports de l'art à la censure. « Tools Holder 01 », livre au spectateur le programme esthétique de son concepteur : mise en relation, établissements de connexions, alliance libre, joueuse, curieuse de biographique et d'universel, de matière et de concepts, de rigueur formelle et de sensibilité poétique. L'équation développée dans cette sculpture est aussi intime qu’esthétique et inaugure ainsi une série de portraits qui s’élargira à d’autres figures d’écrivains et philosophes choisies par l’artiste.
Studio Fatmi, Juillet 2019.
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The sculpture Tools Holder 01 is created using a black leather tool belt, spread out and fixed on the wall. A variety of home improvement tools hang from it (trowel, wrench, spirit level, hammer, pencil, etc.), as well as philosophical books: Hannah Arendt’s The Crisis in Culture, Merleau-Ponty’s Eye and Mind, Deleuze’s Kant’s Critical Philosophy, and one literary work, Chekhov’s The Lady with the Dog.
All these writer and philosophers forged the artist’s thinking and served as the basis of the elaboration of several of his works. Hannah Arendt for example is cited in the video The Beautiful Language (2010), whose images are taken from The Wild Child, a film by François Truffaut shot in 1970 and inspired by a true story, that of a late 18th century “savage” boy taken in by a French doctor who studied him like a specimen of difference. The artist also used Anton Chekhov’s name as a pseudonym in the video and photographic series Who is Joseph Anton? (2012-2013). The idea behind this project was in part inspired by Mounir fatmi’s encounter with Salman Rushdie un Brussels on the occasion of the release of his autobiography entitled Joseph Anton, a pseudonym that combines the names of Rushdie’s two favorite writers, Joseph Conrad and Anton Chekhov. Lastly, the names of Gilles Deleuze and Merleau-Ponty are written on the porcelain hard hats of the installation The Monuments (2008-2009), alongside other intellectuals such as Jacques Derrida, Jean Baudrillard, Michel Foucault and Édouard Glissant, thus creating a construction site atmosphere around these thinkers of Western modernity, most of whom elaborated the ideological theories and structures with or against which our contemporary world constructed itself.
The sculpture Tools Holder 01 makes use of matter and materials just as much as concepts. The artist advocates an art that borrows from both artisanal craftsmanship and conceptual elaboration. His approach is poetic: his works link together elements or strive to uncover relations between them. Any reflection, any endeavor to acquire knowledge is, in the same way, linked to other elements. Mounir Fatmi favors diversity and multiplicity versus dogmatic thinking, unidimensional readings, unequivocal and definitive interpretations. The relations created, founded upon the heterogeneity of the elements, are meant to be free by essence. The choice of the elements is the artist’s alone. He does not exclude any initially and can select them in the most diverse domains, even if they have – on the surface – no relation between them. Thus the artistic process takes its distances with the powers of cultural elements. Nor does it establish a hierarchy; on the contrary, it creates the right conditions for a dialogue. In this way, the artist acts as a cultural hybridizer.
The art practiced by Mounir Fatmi is both biographical and universal. It utilizes elements belonging to universal culture and at the same time delivers a self-portrait in every one of his pieces. Lastly, the vision of art as advocated by the artist links together – in a discreet and almost allusive way – the questions of freedom and knowledge with those of desire and interdiction: through the presence of the lady with the dog, with her subversive love life, and that of Anton Chekhov, whose name appears alongside Salman Rushdie’s in several works addressing the relations between art and censorship. Tools Holder 01 presents the viewer with its conceiver’s esthetic program: creating relations, establishing connections, the free, playful and curious alliance of the biographical and the universal, of matter and concepts, formality and poetic sensitivity. The equation developed in this sculpture is as intimate as it is esthetic, and inaugurates a series of portraits that will extend to other figures of literature and philosophy chosen by the artist.
Studio Fatmi, July 2019.
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