Dark Dark Dark est une série de céramiques noir composé de jarres et d’assiettes de plusieurs tailles sur lesquelles l’artiste à peint en blanc des formes géométriques. Ces dessins sont inspirés des courbes de la bourse traitant les prix du blé, du riz, du cacao ou des statistiques représentant la pénurie d’eau. Depuis 2014 mounir fatmi a commencé à s’intéresser à ce langage graphique universel abstrait et complexe en le déconstruisant et le présentant dans un contexte artistique hors des analyses des journaux spécialisés et les gourous de la finance.

Ces sculptures en céramiques fonctionnent comme des artefacts/archives, chargés d’information. Elles sont traversées horizontalement par des lignes des inflexions courbes et de graphiques résultants d’algorithmes mathématiques et des sciences économiques, afin de produire une représentation visuelle de nos données chiffrées. En d’autres termes, l’artiste relie cette masse de data incompréhensible à la réalité de notre vie quotidienne. La jarre qui représente un des premiers supports pour transporter et stoker diffèrent liquides comme l’eau et l’assiette qui représente notre relation à la nourriture et donc à l’énergie qui nous permis de continuer à vivre. La sculpture regroupe alors en même temps le concept le médium et l’archive.

Mais chez mounir fatmi, cette question d’objet/Archive n’est pas nouvelle, puisqu’il a déclaré plusieurs fois depuis le début de sa carrière que son œuvre se situe justement entre l’archive et l’archéologie. L’artiste examine alors l’idée que l’archive se construit sur une base d’obsolescence, ce qui rend difficile et presque impossible sa préservation. Il rappelle également la rapidité avec laquelle les technologies évoluent et le peu de temps qu’elles nous laissent pour pouvoir archiver et documenter ce processus.

Cela dit, la proposition artistique ici ne consiste pas seulement à préserver les données, mais aussi à récupérer les histoires oubliées derrière elles, une tâche qui, selon l’artiste, ne peut pas être effectuée que par les archivistes et les historiens. Nous sommes tous concernés par cette question vu la quantité phénoménale de données que nous produisons.

Il devient donc urgent de préserver nos informations pour les générations futures alors que nos moyens d’archivage actuel ne sont même pas au niveau des anciennes tablettes sumériennes. De ce fait, l’artiste se pose plusieurs questions : qu’est-ce qu’il est vraiment nécessaire de préserver ? Que nous devrions faire de ces archives ? Que se passera-t-il lorsque toutes ces données deviendront obsolètes ? Comment préserver ces informations alors que notre technologie d’archivage est obsolète ?

C’est à partir de ces questions que l’artiste a décidé d’utiliser les deux formes de céramique - la jarre et l’assiette - qui représentent pour lui deux objets liés directement aux prix changeants des valeurs de la bourse. Peindre ces informations sur des céramiques en argile, nous ramène directement aux tablettes sumériennes grâce auxquelles nous avons découvert le langage.

Ainsi ces tablettes qui sont considérées jusqu’à maintenant comme les premières formes d’archivage, les sculptures Dark Dark Dark aspirent à résister à l’épreuve du temps et assumer la tâche presque impossible de préserver et de transmettre nos archives aux générations futures. 

 
Studio Fatmi, Octobre 2022