Peint à même la paroi du mur, un calligramme noir, dont les entrelacs de courbes et contre-courbes enserrent les chiffres de 1 à 6, s'inscrit en place de cerveau dans le dessin d'un crâne dont le profil est tracé à la peinture noire sur un fond blanc. En dessous figure la libre traduction d'un fragment du verset du Coran en partie calligraphié dans cette Tête dure de Mounir Fatmi : Est-ce qu'ils se ressemblent, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
À la manière de l'ancienne phrénologie, les chiffres arabes de Tête dure pourraient désigner, ainsi claustrés dans cet étrange cerveau-écriture, les lieux du désir, de la peur, de l'espoir, de la haine ou de la mélancolie, ou bien les sites régissant la mémoire et la créativité, activant la foi ou l'athéisme, la compassion ou la misanthropie, l'envie de vivre ou celle de préférer ne pas. Ainsi, au tout début du XIXème siècle, Franz Josef Gall s'employait-il à spatialiser l'esprit, localiser dans le cerveau ce qui commande la foi autant que la parole et la marche, à lier le savoir et la croyance à l'anatomie. Après Descartes, qui affirmait déjà que c'est par la glande pinéale que l'âme se trouve unie à toutes les parties du corps, Gall avait répertorié le "centre de l'esprit métaphysique", identifiant la place du spirituel dans le corporel.
Avec cette peinture murale minimaliste et radicale, Mounir Fatmi décolle jusqu'à l'os les strates de quelques unes des représentations qui constituent nos identités occidentales ou orientales, profanes ou religieuses.
S'il existe une spécificité de l'art critique actuel, ce n'est assurément pas d'être "chrétien", ou "musulman", ou "juif", pas plus qu'africain ou occidental, ou de quelque appartenance identitaire dont l'Art s'est depuis longtemps prévalu. Ce n'est pas non plus de croire que la démarche artistique est identique à la démarche scientifique car il serait aisé de démontrer que le parallèle est peu pertinent. Ce qui pourrait vraiment être la marque de la postmodernité artistique, c'est une certaine capacité à observer les vérités en tant que représentations, en tant que jeux de langage commandant une organisation sociale, politique et religieuse.
Extrait du texte d'Evelyne Toussaint, Septembre 2006
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Painted on the wall, a black calligramme. The interlaced curves and countercurves encircle the numbers from 1 to 6 forming the brain inside a skull. The profile is drawn with black paint on a white background. Under his Hard Head, mounir fatmi has written the free translation of a Koran verse, partly in calligraphy: “Do those who know and those who don’t know resemble each other?”
Just like in ancient phrenology, the Arabic ciphers in Hard Head, locked up in this strange brain/ writing, might depict zones of desire, fear, hope, hate or melancholy, the ones that control memory and creativity, or that activate faith or atheism, compassion or misanthrophy, the lust for life or the longing to die. At the very beginning of the 19th century, Franz Josef Gall 2 gave the human spirit a spatial division. He considered the brain to command faith, speech and the capacity to walk, linking this knowledge to his belief in anatomy. After Descartes, who already said that ”the soul is united to all the parts of the body by the pineal gland” 3, Gall identified the ”centre of the metaphysical spirit” as the place of the spiritual in the corporal.
With this minimalist, radical mural painting, mounir fatmi skins certain representations that form our occidental or oriental/profane or religious identities.
If there is something specific about contemporary critical art, then it is certainly not that it is ”Christian”, ”Muslim” or ”Jewish”, african or occidental, or belonging to some identity that Art has claimed for a long time. There is no reason to believe that the artistic evolution is identical to the scientific one, because it would be easy to show that the parallel is little relevant. But what could really be a feature of artistic post-modernity is a certain capacity to observe truths as representations or as language games that steer a social, political and religious organisation.
Excerpt from Evelyne Toussaint's text, September 2006
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