L’anneau, à la recherche du lien perdu
Depuis qu’il a quitté sa famille et son pays d’origine, sa culture en somme, mounir fatmi cherche à créer des liens, liens interpersonnels, interculturels, interreligieux… L’anneau pourrait il symboliser, permettre ces liens ? Il est peut être à la fois la plus réelle et la plus illusoire des illusions de l’artiste, lui qui se plaît à créer des illusions pour les utiliser comme matière à penser, à rêver. L’anneau constitue une tentative de lien primordial, le maillon premier d’une chaine de liens, le cercle qui unit. L’anneau primordial ? Celui fait de pierres, autour du foyer.
Dès que le feu fut maîtrisé par l’homme, ce dernier l’encercla de pierres. C’était le foyer, le cercle familial, le cercle tribal, le cercle d’amis : il y a ceux qui sont dedans et, par voie de conséquence, ceux qui sont dehors. Le cercle inclut et exclut tout à la fois. De la même manière, l’anneau que la femme et l’homme échangent en se jurant amour toujours et fidélité exclut lui aussi : il exclut tout autre amour, à tout le moins charnel, du couple ainsi constitué. Illusion d’alliance alors, une alliance se constituant toujours par l’exclusion de ceux qui n’y participent pas ?
En réponse à cette question, mounir fatmi, pour magnifier la possibilité de liens ouverts, en opposition aux liens qui emprisonnent, fait cette proposition : et si l’anneau, plutôt que d’être enfilé autour d’un doigt, était offert dans la paume de la main, tel un cadeau accessible à tous ? L’anneau pourrait-il alors symboliser l’alliance humaine, universelle, celle dont l’artiste rêve ? Certes, l’anneau au creux de la main, voilà qui est infiniment mieux qu’au doigt : là il n’ « encercle » pas ; il est offert mais ne contraint rien ; il est ouvert ; il lie mais n’enferme pas.
Mais est-ce assez ? Dans L’Alliance du désir, Le Cantique des Cantiques revisité (Ed Labor et Fides 1995), Marc Faessler nous dit qu’ « En hébreu, l’alliance entre deux personnes “se tranche“, indiquant la nécessaire coupure dans l’être à mettre en œuvre pour qu’ait lieu l’ouverture qui n’a pas encore eu lieu. L’alliance vient trancher le retranchement dans l’imaginaire, elle sauve l’entre deux où passe le souffle imprenable de l’altérité… ». Comment, avec l’anneau, offrir cet « entre deux où passe le souffle imprenable de l’altérité » ?
mounir fatmi, pour que l’anneau lie sans exclure, explore alors cette autre possibilité : ce ne sera plus seulement sa main qui offre l’anneau – sa main fine, élégante, presque féminine – mais de nombreuses mains. Des mains de ses proches, peut-être bientôt aussi des mains inconnues, afin d’universaliser le lien. L’artiste désormais photographie les mains de l’« autre », des autres, elles aussi ouvertes, en offrande. Peut-être que pour rendre « l’union impossible » possible, il faut et il suffit que mille et une mains, que toutes les mains du monde, offrent l’alliance, l’anneau au creux de la paume. L’anneau, alors, pourrait-il enfin réunir l’enfant et son père, la culture d’origine et celle d’adoption, la science et la beauté, l’intimité et l’extimité, l’Orient et l’Occident ? Ou à tout le moins symboliser le lien à la vie ?
Mais peut-être faudrait-il, en réalité, en illusion, que l’anneau lui même soit ouvert dans la main ouverte pour que « le souffle imprenable de l’altérité » puisse s’amplifier jusqu’à annuler tout risque d’exclusion.
L’Anneau, dit encore fatmi, « synthétise ma recherche sur le cercle, le cercle de la vie, les intersections, la géométrie, le langage, l’architecture du corps et la machine. » Cette question du cercle, mounir fatmi l’a également abordée de manière scientifique : le scientifique qui veille en lui et qui a étudié avec le plus grand soin le théorème de Descartes concernant les tangentes et ses développements ultérieurs par Frederick Soddy. Dans son élaboration de la série Casablanca Circles qui se fonde sur le baiser d’Humphrey Bogart et Ingrid Bergman – le baiser, une autre forme de lien, une autre rencontre, à la fois inclusive et exclusive. Dans L’Anneau, fascination absolue, les tangentes sont représentées par les lignes de la main… toujours uniques, toujours humaines, absolument individuelles. Pour que l’anneau lie sans jamais exclure, l’individualité, l’indivisibilité de chacun, doit d’abord être intégrée par l’autre. Or elle est là, cette unicité constitutive de l’humanité : elle est dans les lignes de la main, dans les tangentes de l’anneau, dans le contact entre les deux.
Barbara Polla, Février 2018.
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The Ring, in search of the lost link
Ever since he left his family and his homeland, basically his whole culture, Mounir Fatmi has been trying to create links: interpersonal, intercultural, interreligious links… Could the ring be a symbol for these links and make them possible? This might be both the most real and the most illusory of the artist’s illusions – as he enjoys creating illusions and using them as a material for thinking and dreaming. The ring is an attempt for a primal link, the first link in a chain, the circle that unites. The primordial ring? The one that’s made up of stones, around the hearth.
The moment humans mastered fire, they circled it with stones. It was the hearth, the family circle, the tribal circle, the circle of friends: there are those who are in it, and, consequently, those who are outside. The circle includes and excludes at the same time. In the same way, the ring that a woman and a man exchange as they swear eternal love and fidelity excludes as well: it excludes any other love, at least carnal love, from the couple that has been thus constituted. Does this make it an illusory alliance, an alliance that always consists in the exclusion of those that are not a part of it?
As an answer to that question, mounir fatmi, in order to magnify the possibility of open links and in opposition to links that enclose, makes the following proposition: what if the ring, rather than being slipped onto a finger, was offered in the palm of the hand, like a gift available to all? Could the ring then be the symbol of a universal human alliance, which the artist dreams of? Certainly, a ring in the palm of the hand is infinitely better than on the finger: it no longer “encircles”, it is offered but doesn’t obligate, it is open, it connects without enclosing.
But is that enough? In the Alliance of Desire, the revisited Song of Songs (Labor et Fides, 1995), Marc Faessler tells us that “in Hebrew, an alliance between two persons is said to be ‘cut’, indicating the necessary cut that must be practiced in a being so that the opening can happen that hasn’t happened yet. The alliance interrupts the cornering of the individual into his or her own imagination, it preserves the interval in which passes the impregnable breath of alterity…” How to offer, with the ring, this “interval in which passes the impregnable breath of alterity”?
Mounir Fatmi, in order for the ring to unite without excluding, explores the following alternative: his hand alone won’t offer the ring – his fine, elegant, almost feminine hand – but a multitude of hands. The hands of his loved ones, maybe also soon the hands of strangers in order to make the link universal. So from this point forward, the artist photographs the hands of “the others”, other people, open as well, as if they were an offering. Maybe in order to make “the impossible union” possible, all it takes is for one thousand and one hands, all the hands in the world, to offer the union, the ring in their palm. Could the ring, then, finally unite the child and his father, the original culture and the adoptive one, science and beauty, intimacy and extimacy, Orient and West? Or at least symbolize the link to life?
Perhaps the ring should be, in reality, as a sort of illusion, open in the open hand so that the “impregnable breath of alterity” can grow bigger until it destroys any risk of exclusion.
The ring, continues Fatmi, “sums up my research on the circle, the circle of life, intersections, geometry, language, the architecture of the body and the machine.” This question of the circle, Mounir Fatmi also approached it from a scientific point of view: the scientist within him who meticulously studied Descartes’ theorem on tangent circles as well as its later developments by Frederick Soddy. In his elaboration of the Casablanca series, which is based on the kiss Humphrey Bogart and Ingrid Bergman share – the kiss, another form of link, an encounter, both inclusive and exclusive. In The Ring, the fascination is absolute, and the rings are represented by the hand lines… always unique, always human, absolutely individual. In order for the ring to unite without ever excluding, the individuality and indivisibility of each person must first be accepted by everyone else. As it happens, this uniqueness that is constituent of humanity is right there: it’s in the lines of hand, in the tangents of the ring, and in the contact between the two.
Barbara Polla, February 2018.
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