La série photographique en couleurs « Porte-drapeau » restitue les images d'une cérémonie officielle. Des jeunes hommes vêtus de manière identique, en pantalon blanc et chemise blanche, marchent en groupe en tenant dans leurs mains les bannières de pays divers. Drapeaux et porte-drapeaux, en grand nombre, se mêlent et disparaissent les uns derrière les autres. L'œuvre interroge les concepts de nation et de nationalité. Elle étudie les expressions du nationalisme par les états et décrit le paysage géopolitique internationale constitué par leur addition. Elle explore enfin le rapport entre nation et individus.

Les photographies expriment la diversité des pouvoirs à l'échelle mondiale et décrivent une situation géopolitique complexe et difficile à observer, où les aspirations nationales s'entremêlent et se heurtent les unes aux autres. L'expression qui leur sert de titre est polysémique. Son sens premier et martial renvoie à un rôle séculaire signalé par un grade militaire qui consiste à exhiber le drapeau censé représenté la nation lors des cérémonies officielles ou sur les champs de bataille. Au sens figuré, le porte-drapeau désigne également le représentant d'un courant idéologique ou encore un produit commercial phare d'une marque. Les exemples de mise en scène du personnage du porte-drapeau sont nombreux dans les œuvres de fiction, en particulier dans le cinéma qui fait régulièrement de celui-ci un héros prêt à se sacrifier. Arborer des couleurs vives sur un champs de bataille est en tous cas un bon moyen de signaler sa présence et de se désigner comme une cible idéale. Les individus, placés en groupe derrière les bannières colorées, devenant indistincts, similaires et interchangeables, disparaissent au profit des drapeaux, comme s’il y avait eu un transfert de couleurs.

Les nationalismes semblent entraîner un abandon des caractéristiques personnelles devant les symboles et les pouvoirs de l'état, autrement dit une forme de désindividualisation. La subordination des individus à l'état réduit ces derniers à un rôle essentiellement utilitaire. Les caractéristiques des individus représentés rendent compte de la manière dont les états expriment leurs nationalismes, associés aux idées de jeunesse et de virilité. Les idéologies nationalistes se nourrissent de l'inexpérience de leurs plus jeunes citoyens et leur conditionnement social s'exerce dès le plus jeune âge. La jeunesse constitue alors une réserve inépuisable d'énergies et d'idéalismes mis au service de la nation et de ses intérêts. La mise en scène de la fierté des états, joyeuse, colorée et pleine d'énergie, entre en contradiction avec l'esprit guerrier qui s'y exprime. La représentation de groupe montre au final l'effet grégaire des nationalismes, qui est une marche en avant aveugle vers une destination commune qui ressemble plutôt à un champ de bataille.


Studio Fatmi, Février 2018.