Les œuvres textiles regroupées sous le titre « Le Tapis du Père » mêlent les techniques de la peinture et de la couture. Les compositions sont obtenues à partir de l'assemblage de pièces de tissu auxquelles se superposent des motifs peints, et elles empruntent leurs formes générales à celle du tapis rectangulaire. Les pièces de tissu découpées et réassemblées sont d'origines diverses : tapis de prière musulmane, textile moderne industriel aux couleurs et motifs variés, reproductions figuratives brodées d'architectures religieuses ou de dessins extraits du corpus artistique de l’artiste : motifs géométriques circulaires, séries de courbes, silhouette humaine. Lorsqu’elle est employée, la peinture est directement appliquée sur les compositions obtenues sous forme d’aplats blancs ou de bandes colorées, derrière lesquelles tendent à disparaître motifs traditionnels ou éléments architecturaux figurés. Certains collages sont accompagnés de la retranscription graphique d'une citation extraite du manifeste de l'artiste ou du titre de certaines de ses œuvres précédemment réalisées.
Ces compositions s'intéressent aux relations entre la société arabe, marquée notamment par l'influence de la tradition et de la religion, et la réalité contemporaine, marquée quant à elle par la mondialisation et la multiplication des interactions culturelles. La série « Le Tapis du Père » emploie un motif autobiographique issu de l'expérience et de l'enfance de l'artiste. Son dispositif fait le lien entre la biographie et l'histoire et met en scène une figure de l'autorité, garante de la conservation et de l'immobilité d'une certaine forme de patrimoine culturel et idéologique. La couture y est envisagée comme une opération de greffe, thème et événement traité dans plusieurs autres projets réalisés par mounir fatmi. Elle élabore une œuvre hybride qui abolit les frontières entre les catégories établies, mêlant figuratif et abstraction géométrique, peinture, et écriture poétique. Sa technique peut s'apparenter à celle du collage et son esthétique, qui recourt au geste libre et à la recomposition hasardeuse répond à la fois aux inflexions de la fantaisie de l'artiste et aux contraintes imposées par le réel.
« Le Tapis du Père » procède par déconstruction et superposition. L'oeuvre met en présence simultanée des matériaux aux origines très différentes. Les éléments du vocabulaire plastique et conceptuel s'ajoutent notamment aux ornementations classiques de l'artisanat religieux. Multipliant à l'excès les motifs qui entrent dans sa composition, « Le Tapis du Père » rend compte de la naissance des significations en livrant une composition "maximaliste". L'œuvre puise son inspiration dans les travaux d'artistes engagés esthétiquement et politiquement, tels que Malevitch ou Kurt Schwitters, dont les mouvements constructiviste, cubiste et suprématiste se sont élaborés autour de l’idée d'une vision en construction.
Les œuvres textiles de mounir fatmi tendent à mettre en évidence des processus visuels et intellectuels. Elles relèvent des contrastes saisissants, observent des écarts stylistiques et des décalages. Elles rendent compte, dans une approche inspirée par la linguistique, de la manière quelque peu chaotique dont s'organisent les significations du monde contemporain. Elles affirment également un parti-pris de l'hybridation culturelle. La série « Le Tapis du Père » aboutit finalement à la métamorphose de l'objet employé. Son statut initial - lié au culte religieux ou à la tradition - est aboli, et se reconstitue un objet neuf aux significations inédites, une proposition originale au style résolument moderniste.
Studio Fatmi, Juillet 2018.
|
|
The textile pieces grouped under the title “Father’s Carpet” combine the techniques of painting and sewing. The compositions are obtained by assembling pieces of cloth on which painted motifs are superimposed, and they borrow their overall shape from that of rectangular carpets. The cut-out and reassembled pieces of cloth have various origins: Muslim prayer rugs, modern industrial textiles with various colors and motifs, figurative embroidered reproductions of religious architecture and drawings taken from the artist’s body of work: circular geometric motifs, series of curves, human silhouettes. When paint is used, it is directly applied onto the compositions as white surfaces or colored stripes behind which the traditional motifs and architectural elements tend to disappear. Certain collages are completed with the graphic transcription of a quote taken from the artist’s manifesto or the title of some of his previous works.
These compositions examine the relation between Arab societies, where the influence of tradition and religion is strong, and the reality of our contemporary world, which is marked, on the contrary, by globalization and the multiplication of cultural interactions. The “Father’s Carpet”’ series uses an autobiographical motif taken from the artist’s own experience and childhood. It combines biography and history and features a figure of authority, keeper of the conservation and immobility of a certain form of cultural and ideological heritage. Sewing is considered here as a graft operation, a theme and event addressed in several of Mounir Fatmi’s other projects. It creates a hybrid work of art that abolishes the borders between established categories, combining figurativeness and geometric abstraction, painting, writing and poetry. This technique can be linked to that of collage and its esthetic, through the use of free gesture and random composition, answers both to the artist’s whimsy and to the imposed constraints of reality.
“Father’s Carpet” uses deconstruction and superimposition. The work of art pieces together materials with very different origins. The elements of its plastic and conceptual vocabulary combine, among other things, with the classic ornamentation of religious craftsmanship. By multiplying to excess the motifs that enter its composition, “Father’s Carpet” addresses the birth of significations by offering a “maximalist” composition. The piece draws its inspiration from the work of militant artists, both esthetically and politically, such as Malevitch or Kurt Schwitters, whose constructivist, cubist and supremacist movements were elaborated around the idea of a vision under construction.
mounir fatmi’s textile pieces tend to highlight visual and intellectual processes. They reveal striking contrasts and examine stylistic gaps and discrepancies. They report, with an approach that is inspired by linguistics, the somewhat chaotic way in which significations organize themselves in our contemporary world. They also proclaim a committed stance in favor of cultural hybridization. The “Father’s Carpet” series ultimately results in the transformation of the object employed. Its initial status – related to religious worship or tradition – is abolished and reconstituted into a new object with brand new significations, an original proposition with a resolutely modernist style.
Studio Fatmi, July 2018.
|