Projet conceptuel inscrit dans une série procédant par l'application sur des toiles de plusieurs couches de peinture blanche, « Sans Témoin » est associé aux œuvres « Coma », ou encore « Effacement Mémorisation » réalisées entre 1995 et 2003. Les supports de ces compositions monochromes obtenues par recouvrement sont constitués au départ par des tableaux réalisés et exposés antérieurement par l'artiste, au style proche de l'abstraction et de la figuration libre, qui ont bénéficié de la reconnaissance du milieu artistique et de la critique. « Sans Témoin » est une série d’œuvres peintes et effacées qui privent le public de la possibilité de les voir dans leur état originel et suppriment le spectateur au sein de la chaîne de création et de monstration. Seul le titre de la série, sérigraphié en français et en arabe en lettres rouges et à même la toile, en quelque sorte estampillé, atteste de l'existence d'œuvres avant leur effacement.
« Sans Témoin » interroge les rapports du spectateur à l'œuvre d'art et à l'artiste, ainsi qu'aux dispositifs d'exposition et d'interaction avec ceux-ci. Quel est le rapport du public à une œuvre d'art désignée comme telle par le milieu artistique ? Comment le spectateur vit-il l'expérience de la privation vis à vis d’une oeuvre qui persiste pourtant à hanter son esprit ? Quelle est enfin la place du public dans une société qui ne disposerait pas de lieux d'exposition et de rencontre avec les artistes ?
La série des peintures effacées s'appuient sur un effet de manque et sur le consensus intellectuel et esthétique qui s'établit autour d'une réalisation jugée comme relevant de l'art et éventuellement reconnue par la critique. En se dérobant aux regards, elle vient déjouer les habitudes de perception et les idées préconçues. L'effacement auquel se livre l’artiste relève pour une part d'une stratégie artistique qui a pour but d'annuler le statut initial de l'objet (celui d'œuvre d'art considérée comme honorable par une partie de la critique bourgeoise) afin de recomposer une nouvelle oeuvre conceptuelle dont le thème central devient la question des relations entre le public et la proposition artistique.
Avec le projet des peintures effacées, on assiste également à l'élaboration de fantômes au sens derridien du terme, à la création d'œuvres spectrales cachées entres les couches de peinture blanche. Celles-ci offrent l'occasion d'un travail sur la mémoire - mémoire qui dissimule autant qu'elle donne à voir, qui encombre le sujet qui la porte autant qu'elle l'aide à vivre. Le titre, « Sans Témoin », noté avec la plus grande concision et dans un lettrage rouge vif, prend ici la valeur d'un concept, d'une idée, au caractère à la fois évanescent et éternel. Avec cette série de peinture mounir fatmi offre au public l'expérience paradoxale d'un phénomène qui échappe en partie aux perceptions et qui par là-même et par le sentiment de frustration qu'il entraîne, constitue une forme de présence particulièrement insistante.
Studio Fatmi, Mai 2018.
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A conceptual project that is part of a series consisting in the application of several layers of white paint on canvasses, “No Witness” is associated to works such as “Coma” and “Obliteration Memorizing”, created between 1995 and 2003. The medium for these monochrome compositions obtained through a process of covering up, initially consists in paintings previously created and exhibited by the artist, with a style close to abstraction and free figurativeness, and which enjoyed a certain recognition from the artistic milieu and critics. “No Witness” is a series of works painted and then erased, which deprive the public from the possibility of seeing them in their original state, thus removing the viewer from the chain of creation and exhibition. The title of the series, printed in French and Arabic in red letters directly on the canvas, like a stamp, attests to the existence of the works of art before they were erased.
“No Witness” questions the relation of the viewer to the work of art and to the artist, but also to the processes of exhibition and interaction with them. What is the relation between the public and a work of art that has been designated as such by the artistic milieu? How do viewers experience being deprived of a piece of art that nonetheless persists in their mind? And finally, what place does the public have in a society that doesn’t offer spaces for exhibiting art and interacting with artists?
The series of erased paintings relies on an effect of withdrawal and on the intellectual and esthetic consensus that establishes itself around a creation perceived as art, and even acknowledged by the critics. Hiding the paintings thwarts our habits of perception and our preconceptions. The erasure carried out by the artist is part of an artistic strategy aiming to annihilate the object’s initial status (a work of art considered as receivable by part of the bourgeois critique) in order to re-create a new conceptual work whose main subject becomes the question of the relations between the public and an artistic proposition.
With this erased paintings project, we are also witness to the elaboration of ‘ghosts’ – in Jacques Derrida’s sense of the term – the creation of spectral works of art hidden beneath coats of white paint. This is also an occasion to work on memory – a memory that hides as much as it reveals, that clutters the subject as much as it helps him to live. The title, “No Witness”, written with great concision and in bright red letters, becomes here a concept, an idea that is both evanescent and eternal. With this series of paintings, Mounir Fatmi offers the public the paradoxical experience of a phenomenon that partially evades perceptions and creates frustration, and by doing so constitutes a particularly insistent form of presence.
Studio Fatmi, May 2018.
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